Fou-Bar
de Alain Beaulieu

critiqué par Libris québécis, le 8 août 2018
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
La Tartuferie toujours vivante
En 1934, Jean-Charles Harvey écrivait Les Demi-Civilisés, oeuvre qui fut interdite parce qu'elle s'attaquait aux mœurs des bourgeois. Soixante-trois plus tard, Alain Beaulieu reprend le flambeau pour éclairer, à son tour, leur hypocrisie. La littérature québécoise compte ainsi de nombreuses dénonciations de la classe aisée, à laquelle la jeunesse se promet de ne pas ressembler. Il n'est plus question de jouer à la vierge offensée quand on a banni les principaux commandements de Dieu, soit celui de l'amour et de la charité.

Les jeunes protagonistes se rassemblent donc le soir au Fou-Bar, sis au 525 de la rue Saint-Jean à Québec. Attablés autour de bières artisanales, qui font la renommée de la maison, ces purs et durs refont le monde sans se soucier du réalisme de leurs arguties, voire organiser des " wild parties " pour expérimenter les interdits sociaux. Tous tiennent de beaux discours idéologiques, très articulés d'ailleurs. Quoi qu'il en soit, le héros, Harold Lubie, pour être fidèle à son nom de famille, ne se prive pas du plaisir de faire payer aux bien-pensants de la classe moyenne, le prix de leur concubinage avec le mensonge pour sauvegarder leur honneur. En un rien de temps, il met au point une technique infaillible pour dévaliser leurs maisons des banlieues cossues, sans attirer les soupçons sur sa personne.

Cette activité devient risquée quand Nadine l’oblige presque à former un tandem avec elle pour commettre ses délits. L'aventure débute du bon pied et conduit même à l'amour. Mais la situation tourne au vinaigre quand la police surprend la voleuse en flagrant délit. Ce volet se ferme sur le monde de l'adoption. Les larcins de l'héroïne l'avaient amenée à découvrir des cassettes, qui l'ont sidérée en reconnaissant une fillette qu'elle ne croyait pas être adoptée. C'est l'élément retenu par l'auteur pour étayer sa thèse sur l'hypocrisie des nantis qui frappaient d'ostracisme les jeunes célibataires enceintes. L'époque pratiquait l'abandon des enfants issus d'un amour interdit plutôt que de les protéger comme le commande la charité chrétienne.

Le thème de la jeunesse des années 80 n'est pas nouveau, mais l'efficacité du traitement l’empêche de s’enliser dans les ornières. Le romancier sait où le bât blesse. Il a le mérite de l'indiquer avec une plume claire, vivante et parfois enjouée. Fou-Bar est un polar qui dépeint éloquemment une jeunesse qui condamne, depuis Molière, la tartuferie.