Paul Personne - Des vies en blues
de Nicolas Dupuy

critiqué par Numanuma, le 25 juillet 2018
(Tours - 50 ans)


La note:  étoiles
Banlieue blues
Ça fait un bail que je le connais le Paul Personne. Depuis 1994. Au siècle dernier quoi. Ça commencer à dater, ça remonte aux belles années sorbonnardes/ lettres/ binouzes/ soirées/ célibat/ couple/ célibat... Le bon temps. C'est le single « Loco Loco » m'avait bien accroché l'oreille. J'ai choppé l'album « Le rêve sidéral d'un naïf idéal » dans la foulée. Depuis, j'ai eu la chance de le voir trois fois en concert. La première, c'était au zénith. Je traîne encore un acouphène. Puis à l'Olympia. A chaque fois, ce qui frappe, en-dehors des qualités musicales du bonhomme, c'est la chaleur dans la voix. Il te parle et c'est ton pote ! A mil lieues des méga stars. Un gars tranquille.

24 ans donc. Et pourtant, en choisissant ce bouquin, je me suis rendu compte que je connaissais pas grand chose de sa carrière. Je savais qu'il y avait eu l'album « Comme à la maison » juste avant mais, en ces temps reculés où le Net n'existait pas, il n'était pas facile de trouver les infos. Je me souviens de quelques interviews dans Rock & Folk mais ça donnait surtout l'actualité du moment.

Bref, je me suis dis, bonne occaz ! Il faut passer le premier chapitre, dans lequel l'auteur abuse un peu trop des phrases à virgules, se la joue un peu trop subordonnées relatives. Après, on prend un rythme de croisière. Certes, ça revient parfois cette tentation d'enchâsser les propositions mais ça tient mieux la route. L'auteur, Nicolas Dupuy, est plus efficace dans les phrases plus courtes, plus percutantes. Exemple page 57 : « 1980. Paul, avec sa nouvelle compagne Fanfan et ses enfants, se retire de la musique. Son activité du moment ? Le cannage de chaises. » La principale, « Paul se retire de la musique » est bien mise en valeur. Suivent deux phrases averbales, une interrogative qui suscite l'intérêt, et une affirmative suffisamment étonnante en elle-même pour se passer de verbe. Écriture rock.

En 1980, justement, Paul a déjà quelques années de galère au compteur. Je ne sais même pas comment il pu rester dans les marges de la musique populaire aussi longtemps, passant de groupe en groupe, de promesse en désillusion, perdant un enfant au passage, sans se jeter sous un train. Si le blues exprime une souffrance, il a toute légitimité. Paul n'a jamais été dedans, toujours juste à côté. Blues toujours mais en français, avec des influences à chercher du côté de Nougaro autant que de Muddy Waters. Rock à guitare quand les claviers prenaient d'assaut la citadelle. Chantant en français quand Trust ou Téléphone avaient déjà décroché la timbale : pas de place pour un rockeur de plus. A la limite, s'il avait été has been, il aurait pu avoir un succès culte, puis revenir et gagner ses galons de sympathique looser. Mais non, pas de ça chez lui. Personne, né René-Paul Roux, a d'abord été batteur avant de chanter et de jouer de la gratte. Il sait taper et encaisser aussi dur que les peaux du kit du drummer émérite.

Et puis un jour, le single qui va bien, « Le bourdon ». Après avoir côtoyé Johnny ou Eddy, après avoir posé ses lignes de guitare quasi-anonymement sur divers disques (Bashung, Higelin, Aubert, Manu Dibango...), la lumière se braque enfin durablement sur le gamin d'Argenteuil, qui l'a bien mérité.

Les années, les tournées, les albums, le succès enfin, n'ont pas changé le bonhomme : simple, direct et discret. Mais n'allez pas le limiter au cliché du bluesman à la française. Sa musique est plus large que les douze mesures. Brassens c'est aussi son truc. Y'a qu'a écouter. Il n'aura jamais l'audace de raconter les champs de coton qu'il n'a pas, ne peut pas avoir connu. Quand t'es né dans la banlieue parisienne dans les années 50, tu as tes propres galères à raconter. Pas besoin d'aller poser ta gratte au crossroads et d'attendre que le Diable vienne te faire signer un contrat. Suffit d'aller traîner dans la zone, de se faire traiter de tapette à cause de tes cheveux longs. Il y a sûrement des galères autres dans la vie de Paul Personne, mais il est toujours resté discret sur sa vie passée, ça fait partie de son charme. En fait, tu prends ou tu jettes. Pas le genre à supporter les tiédasses. Allez, va chasser le bourdon !