Le jardin secret de Marcel Proust
de Diane de Margerie

critiqué par Beautoucan, le 31 mai 2004
( - 75 ans)


La note:  étoiles
Les fleurs du bien
Il faut et je veux parler à nouveau de Proust, ne pas laisser dans un oubli injuste ce classique que d’aucuns « rébarbativisent » à souhait parce qu’ils ont transpiré sur des lectures imposées à l’âge où on préfère les jeux ou la promenade.
Ici, on découvrira ou on retrouvera l’écrivain Proust en ne lisant que quelques unes de ses phrases les plus belles cueillies comme des fleurs dans les jardins qu’il aimait tant.
Tous les chapitres réunis composent un éphémère alphabet floral qui réussit à exhaler des senteurs enivrantes pour l’esprit, ces parfums dont Proust, à la fin de sa vie, a dû abandonner à la maladie.
On nous donne ici à voir, à lire, presque à humer un bien nommé florilège d’impressions, de sentiments, de rêves qui sont admirablement mis en valeur par des photographies splendides, des peintures, de simples cartes postales parfois.
Les références à l’œuvre de Proust sont fréquentes mais toujours élégamment amenées et nous donnent envie de retourner lire ou de découvrir les jeunes filles en fleur, Swann ou le temps perdu...
Un beau livre à feuilleter au hasard, comme on effeuille une rose qui faiblit après avoir tout donné. Des images à savourer comme on admire les circonvolutions subtiles des pétales d’un oeillet. Des pages à rêver comme on aime à s’endormir devant la simplicité toute nue d’une tulipe à peine ouverte.
Cherchez cet ouvrage, empruntez-le, puis achetez-le, montrez-le, prêtez-le, mais à la fin reprenez-le ! Il DOIT figurer dans votre bibliothèque.
Cultiver notre jardin. 8 étoiles

Merci à Monique d'attirer notre attention sur ce livre. Se promener dans l'oeuvre de Proust, il est vrai, c'est comme parcourir un jardin où se mêlent fleurs réelles et fleurs de la pensée (la pensée, d'ailleurs, n'est-elle pas une fleur?)

Un petit exemple valant mieux qu'un long discours, j'ai cueilli, dans "Du côté de chez Swann", ce célèbre bouquet d'aubépines, hôtes éphémères d'un petit chemin montant :

"Je le trouvai tout bourdonnant de l’odeur des aubépines. La
haie formait comme une suite de chapelles qui disparaissaient sous la jonchée de leurs fleurs amoncelées en reposoir; au-dessous d’elles, le soleil posait à terre un quadrillage de clarté, comme s’il venait de traverser une verrière; leur parfum s’étendait aussi onctueux, aussi
délimité en sa forme que si j’eusse été devant l’autel de la Vierge, et les fleurs, aussi parées, tenaient chacune d’un air distrait son étincelant bouquet d’étamines, fines et rayonnantes nervures de style flamboyant comme celles qui à l’église ajouraient la rampe du jubé ou les meneaux du vitrail et qui s’épanouissaient en blanche chair de fleur de fraisier. Combien naïves et paysannes en comparaison sembleraient les églantines qui, dans quelques semaines, monteraient elles aussi en plein soleil le même chemin rustique, en la soie unie de leur corsage rougissant qu’un souffle défait.

Mais j’avais beau rester devant les aubépines à respirer, à porter devant ma pensée qui ne savait ce qu’elle devait en faire, à perdre, à retrouver leur invisible et fixe odeur, à m’unir au rythme qui jetait leurs fleurs, ici et là, avec une allégresse juvénile et à des intervalles inattendus comme certains intervalles musicaux, elles m’offraient indéfiniment le même charme avec une profusion inépuisable, mais sans me laisser approfondir davantage, comme ces mélodies qu’on rejoue cent fois de suite sans descendre plus avant
dans leur secret. Je me détournais d’elles un moment, pour les aborder ensuite avec des forces plus fraîches. Je poursuivais jusque sur le talus qui, derrière la haie, montait en pente raide vers les champs, quelque coquelicot perdu, quelques bluets restés paresseusement en arrière, qui le décoraient çà et là de leurs fleurs comme la bordure
d’une tapisserie où apparaît clairsemé le motif agreste qui triomphera sur le panneau; rares encore, espacés comme les maisons isolées qui annoncent déjà l’approche d’un village, ils m’annonçaient l’immense étendue où déferlent les blés, où moutonnent les nuages, et la vue d’un seul coquelicot hissant au bout de son cordage et faisant cingler
au vent sa flamme rouge, au-dessus de sa bouée graisseuse et noire, me faisait battre le cœur, comme au voyageur qui aperçoit sur une terre basse une première barque échouée que répare un calfat, et s’écrie, avant de l’avoir encore vue: «La Mer!»"

Lucien - - 68 ans - 2 septembre 2004