Le colonel
de Mahmoud Dowlatabadi

critiqué par SpaceCadet, le 27 mai 2018
(Ici ou Là - - ans)


La note:  étoiles
Une fenêtre sur la révolution iranienne
Au milieu de la nuit, dans une petite ville de province iranienne, un homme veille. Il pleut. L'atmosphère est lourde et chargée d'incertitude. Puis on frappe à la porte. Conscient de ses moindres gestes, l'homme va ouvrir, puis après s'être introduit chez lui, deux policiers l'enjoignent de les accompagner au bureau du procureur. Tentant de masquer son trouble, feignant le calme et l'indifférence, celui-ci obtempère.

Au fil des heures qui suivent, nous découvrons en cet individu, autrefois militaire, un homme qui, après avoir vécu la plus grande partie de sa vie sous l'ancien régime impérial, tente de renouer les derniers fils de son existence tandis qu'à travers les divers destins de ses enfants, il prend la mesure de l'impact qu'a eu la révolution de 1979 sur son pays. Questionnant au passage le rôle qu'ont pu jouer diverses personnalités dans l'évolution de la situation politique en Iran, interrogeant également sa responsabilité en tant qu'homme et père, il tente de trouver un sens à la confusion et au désarroi régnant autour de lui.

Conçu dans la désillusion des lendemains de la révolution, "Le colonel" est un roman pessimiste dont l'atmosphère sombre, marquée par la violence, la méfiance et la répression, reflète sans doute assez fidèlement le contexte de l'époque.

La trame principale du récit évoluant de façon linéaire sur une durée d'environ vingt-quatre heures, c'est par le biais d'une narration brillamment menée, oscillant entre le 'je' et le 'il', glissant subrepticement d'une perspective à une autre, de même que valsant entre présent et passé, puis entre songe et réalité, que le récit explore les divers moments ayant marqué l'existence du colonel et des siens.

Remarquablement maîtrisé, ce procédé narratif met en relief la qualité de l'écriture tout en donnant lieu à une construction relativement complexe sur laquelle le récit déploie naturellement son amplitude. Au surplus, il permet au lecteur d'expérimenter, du moins de manière intuitive, le sentiment de désarroi ainsi que la perte de repères vécus par les protagonistes.

Homme de théâtre doublé d'un écrivain, Mahmoud Dowlatabadi exhibe ici un sens aigu des ambiances, du ressenti et de l'intériorité. Bien que dotés d'une biographie quelque peu déficiente, ses personnages sont tracés dans l'immédiateté avec une précision et un réalisme exceptionnels. Patiemment taillée depuis l'enfance, sa prose, faite de mots choisis et de phrases soigneusement élaborées, donne lieu à un texte d'une puissance et d'une profondeur remarquables.

Exigeant une lecture attentive, ce roman, dont l'intensité dramatique n'a d'égale que son pouvoir évocateur, fait honneur à la réputation d'un auteur qui, adulé dans son pays (2), reste encore peu traduit et (trop) peu connu des lecteurs occidentaux.

Notes:
1. Lu en traduction anglaise (par Tom Patterdale).
2.Soulignons cependant qu'à ce jour, la publication de la version originale de ce roman n'a pas encore été autorisée en Iran.