Les Hommes du Kremlin
de Mikhail Zygar

critiqué par Colen8, le 26 mai 2018
( - 82 ans)


La note:  étoiles
Nécessité fit loi
L’histoire commence en 1999 trois mois avant la fin du second mandat de Boris Eltsine. Une tentative de dernière chance a empêché l’élection imperdable du premier ministre Primakov conservateur allié aux communistes, soutenu par le maire de Moscou Iouri Loujkov. Elle s’est déployée à l’initiative combinée du puissant conseiller Alexandre Volochine avec l’aide de l’oligarque Boris Berezovski et de ses réseaux, ce dernier vite mis sur la touche, obligé de s’exiler à Londres, avant d’être retrouvé suicidé plus tard. Fruit d’une enquête de plusieurs années, de dizaines d’interviews menées par un historien et journaliste indépendant c’est la politique russe qui se trouve mise en lumière. En 2000 donc a eu lieu la première élection de l’improbable candidat à la présidentielle, Vladimir Poutine dont on attendait reconnaissance et docilité. Quand elle s’achève en 2015, se préparait le 4ème mandat de 2018 que l'on sait aujourd’hui avoir été une simple formalité électorale.
Le successeur de Volochine, Vladislav Sourkov aura été l’artisan de la victoire de Poutine en 2004 bien aidé en cela par la justification « antiterroriste » de la guerre de Tchétchénie, par la manne pétrolière et gazière dont les cours élevés ont facilité un opportun retour de prospérité et par la politique budgétaire du ministre des Finances Alexeï Koudrine. Sur le plan intérieur la garde rapprochée du président était recrutée au sein des services de renseignement et de sécurité pétersbourgeois les « siloviki » menés par le fidèle entre les fidèles Igor Setchine. C’est lui qui devenu chef de cabinet du président a été à l’origine de l’affaire Ioukos et de l’expropriation d’un Mikhaïl Khodorkovski dont les ambitions politiques devenaient embarrassantes pour le pouvoir.
L’intermède présidentiel 2008-2012 par lequel Dimitri Medvedev l’a emporté inopinément sur son rival Viktor Ivanov aurait bien pu se prolonger d’un second mandat comme l’espéraient les libéraux sans la vigoureuse campagne de relations publiques de l’attaché de presse Dimitri Peskov. Pour un pays aussi étendu et inhomogène que la Fédération de Russie le pouvoir n’a pas manqué non plus d’utiliser la puissance fédératrice d’une Eglise orthodoxe sous l’obédience du patriarche Cyrille. On pourrait s’étendre sur les rôles respectifs de Viatcheslav Volodine le conseiller de Primakov devenu chef de l’administration présidentielle après les retraits de Volochine puis de Sourkov à ce poste prestigieux, de Sergueï Pougatchev l’ami banquier de la famille Eltsine devenu voisin et ami de son successeur, et de quantité d’autres intervenants plus ou moins proches de Poutine. Parmi ses opposants seul Alexeï Navalny semble émerger à l’heure actuelle.
En politique étrangère Poutine affirme n’avoir pas ménagé pas ses efforts pour s’attirer les bonnes grâces des américains et des européens, George W. Bush et Tony Blair pour commencer, Gerhard Schröder et Silvio Berlusconi par la suite, allant jusqu’à envisager un rattachement à l’OTAN. Les révolutions de couleur en Géorgie et en Ukraine, les printemps arabes quelques années plus tard lui ont fait craindre la contagion interne à la société russe d’autant qu’il y voyait la propagande et les financements de la CIA américaine. C’est la raison invoquée pour comprendre son basculement progressif dans une voie intérieure autoritaire et répressive, une voie extérieure expansionniste et provocatrice jusqu’à l’annexion de la Crimée au nom du droit des peuples à l’autodétermination, rondement menée par le ministre des situations d’urgence Sergueï Choïgou. Ensuite est arrivée l’ingérence militaire en Ukraine au grand dam de l’UE sur les renseignements transmis par l’ukrainien Victor Medvedtchouk. Depuis 2015 c’est son intervention en Syrie qui mobilise l’opinion.
La conclusion de Mikhaïl Sygar est en soi surprenante. Personne même dans son entourage immédiat ne sait réellement qui est Vladimir Poutine. A défaut d’une stratégie claire il fait montre d’une politique essentiellement réactive au gré d’événements souvent extérieurs. A force de se sentir humilié par ce qu’il a vécu comme l’arrogance des occidentaux il s’est replié dans une posture paranoïaque et populiste laissant de côté les réformes à caractère libéral de ses débuts.