Dans l'ombre, la mère de Grazia Deledda

Dans l'ombre, la mère de Grazia Deledda
(La madre)

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Septularisen, le 14 avril 2018 (Luxembourg, Inscrit le 7 août 2004, 56 ans)
La note : 7 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (25 297ème position).
Visites : 3 495 

GRAZIA DELEDDA S'INTÉRESSE AUX MOUVEMENTS DE L'ÂME

Au début de l’histoire nous sommes en pleine nuit. Un homme sort discrètement de sa maison. Sa mère, Maria-Maddalena qui vit avec lui l’épie, puis le suit discrètement dans la nuit noire. Elle a percé son secret, depuis plusieurs nuits maintenant, son fils court rejoindre une femme…

Rien de plus banal, si ce n’est que ce jeune homme est Paulo le prêtre du village d’Aar et qu’il va rejoindre Agnese, une jeune femme très riche et qui vit seule dans une immense propriété à la lisière du village.

Le lendemain matin, la mère qui veut empêcher son fils de retomber dans le péché, et a peur du scandale que l’amour charnel du prêtre du village pourrait provoquer, lui extorque la promesse qu’il ne se rendra plus jamais dans la maison d’Agnese… Se sachant démasqué par sa mère, Paulo fait porter une lettre à la femme qu’il aime et lui annonce qu’il ne veut plus jamais la revoir…

«Dans l’ombre, la mère» («La madre») paraît d’abord en feuilleton dans le journal «Il Tempo » de Rome en 1919, puis en roman en 1920. Comme toujours avec cet auteur l'action se passe dans son île natale la Sardaigne. C’est un court roman assez noir, mais d’une remarquable intensité, avec une tension dramatique qui va crescendo tout au long du roman.

L’écriture est simple et fluide, Grazia DELEDDA étant une représentante du vérisme (comme son modèle, Giovanni VERGA (1840-1922) son compatriote sicilien). Son écriture pourrait être comparée à celle du naturaliste Emile ZOLA (1840-1902), notamment dans son livre « La faute de l’abbé Mouret » (Ici sur CL : http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/8062) ou bien, si on cherche un exemple plus près de nous, à celle de la française Béatrix BECK (1914-2008), notamment dans « Léon Morin, prêtre » (Ici sur CL : http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/31616) dont certains passages présentent une ressemblance étonnante avec ceux de l’italienne.

Comme dans tous ses livres, on découvre les paysages, la vie et les mœurs de son île natale, ici plus particulièrement celles d’un petit village perdu dans les montagnes.
La construction de l’œuvre est, elle, très étonnante. L’action se passe en deux nuits et une journée et est centrée sur trois personnages. L’intérêt en étant que la psychologie des personnages est très fouillée et d’une profondeur inhabituelle dans un roman. Tout est très intériorisé, les trois personnages principaux étant très tourmentés.
Paulo bien sûr, emporté par sa passion amoureuse pour Agnese, mais qui est rongé par le dilemme, puisque cet amour lui est interdit et le plonge dans le péché. Sa mère, archétype maternel d’abnégation, rongée par l’inquiétude et qui veut empêcher son fils de retomber dans le péché. Agnese enfin, jeune femme forte et résolue, qui n’a pas peur d’affronter le scandale et de se battre pour son amour…

Il est dommage que l’œuvre de Grazia DELEDDA soit aujourd’hui tombée dans l’oubli, car malgré des thèmes parfois démodés, un style passé de mode et une écriture un peu désuète, ses livres restent d’une force et d’une passion sans égal. La preuve en est ce livre, que j’ai littéralement «dévoré» malgré son thème difficile. Inutile de dire que je recommande à tous de redécouvrir ce grand écrivain!

Rappelons que Grazia DELEDDA (1871-1936) a été lauréate du Prix Nobel de Littérature en 1926, elle a été la deuxième femme à recevoir ce prix et au moment où j’écris ces lignes, la seule écrivaine italienne à l’avoir reçu.

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Un prêtre dans la tourmente

9 étoiles

Critique de Poet75 (Paris, Inscrit le 13 janvier 2006, 67 ans) - 21 août 2021

Il est regrettable que la romancière sarde Grazia Deledda (1871-1936), prix Nobel de Littérature en 1926, soit plus ou moins tombée dans l’oubli. Espérons que la réédition de plusieurs de ses romans par les éditions Cambourakis suscite suffisamment de curiosité de la part des amoureux des livres pour la faire (re)découvrir.
À en juger par ce que j’ai moi-même lu jusqu’à présent, Elias Portolu (1903) et Dans l’ombre, la mère (1920), je puis déjà affirmer que cette écrivaine méritait amplement de recevoir son prix Nobel. Ses talents de romancière sautent aux yeux au point qu’en la lisant, même si l’on n’a jamais mis les pieds en Sardaigne, on n’a pas de peine à percevoir, sinon même à ressentir, les caractéristiques et l’atmosphère de cette île.
En Sardaigne, à l’époque où écrit Grazia Deledda, il n’est guère possible de mettre entre parenthèses l’omniprésence de l’Eglise catholique. Partout, évidemment, y compris dans les villages les plus minuscules, il se trouve un prêtre qui se charge ou qui doit se charger de maintenir le troupeau sous bonne garde. En vérité, cela ne se passe pas toujours aussi simplement, plus d’un prêtre se montrant défaillant, d’une manière ou d’autre, au cours de son ministère.
C’est précisément ce sujet qui est abordé dans le court roman ayant pour titre français Dans l’ombre, la mère. Car si, après Émile Zola (La Faute de l’Abbé Mouret en 1875) et le romancier portugais Eça de Queiroz (Le Crime du Père Amaro également en 1875), Grazia Deledda dépeint, à son tour, l’histoire et les tourments d’un prêtre amoureux d’une femme, elle le fait, de manière singulière, en accordant une place de premier plan à la mère de celui-ci.
Paulo, le prêtre en question, n’a que vingt-huit ans, lorsqu’il est nommé curé du village de Aar. Ou, en tout cas, c’est son âge durant les deux nuits et un jour qui suffisent à la romancière pour décrire les joies, mais surtout les peurs, les tourments, les dilemmes des trois personnages qui sont au premier plan de l’œuvre : Paulo, sa mère Maria-Maddalena et Agnese, la femme dont est épris le prêtre. On pourrait, éventuellement, rajouter à ces trois-là le jeune Antioco, acolyte du curé et désireux, lui-même, de devenir prêtre.
Le roman est court, je l’ai dit, et cependant jamais la romancière ne peut être prise en défaut de simplifier, encore moins de caricaturer, ses personnages. Au contraire, elle parvient, avec une étonnante économie de moyens, à préserver et à rendre compte de la complexité de chacun d’eux et de leurs tiraillements intérieurs et, tout cela, sans se priver de mettre en évidence les traditions et les superstitions qui ont cours dans le peuple d’un village sarde du début du XXème siècle.
Tout le roman s’articule autour d’une visite que fait Paulo, une nuit, à Agnese, la femme dont il est épris, tout en étant épié par sa mère. Le prêtre de retour, Maria-Maddalena réussit à lui faire promettre de ne jamais retourner chez la femme en question. Promesse que, la nuit suivante, il trouve le moyen de ne pas tenir, néanmoins sans se cacher de sa mère. Mais avec, en fin de compte, une peur supplémentaire, car Agnese menace de venir à la messe que dira le prêtre le lendemain et de tout avouer publiquement.
Mais, comme je l’ai dit, aucun des personnages n’est fait tout d’un bloc et c’est ce qui constitue l’un des points forts du livre. On peut se poser des questions sur la vocation réelle de Paulo et se demander si ce n’est pas plutôt sa mère qui a eu la vocation pour lui, comme pour réparer ses propres défaillances de jeunesse. Lorsqu’il était séminariste, avant son ordination, le jeune homme avait déjà fréquenté une femme, apprend-on au cours du récit. Quant à sa relation avec Agnese, même si elle s’accompagne de tourments, il ne l’appréhende pas tant sous l’angle du péché que sous celui d’un éventuel scandale : « Il s’avoua que la peur des conséquences d’un scandale l’épouvantait plus que la crainte et l’amour de Dieu, plus que son désir d’élévation et sa répugnance pour le péché. » Il faut ajouter que, même si l’on peut douter de l’effectivité de la vocation de Paulo, sa réputation de prêtre, dans le village, semble bonne. Après qu’il ait soulagé une fillette que sa mère croyait possédée, puis qu’il ait conféré l’extrême-onction à un mourant, un des villageois le désigne en disant : « Cet homme est vraiment un homme de Dieu ! »
Il ne manque pas d’ambiguïté, néanmoins, dans les relations de Paulo, autant avec sa mère qu’avec Agnese. Maria-Maddalena, quant à elle, si elle est soucieuse de « sauver l’âme de son fils » tout comme celle d’Agnese, d’ailleurs, elle n’en est pas moins, elle aussi, habitée de doutes et de questionnements. « Mais pourquoi les prêtres ne peuvent-ils pas se marier ? », se demande-t-elle très justement. Et encore : « Pourquoi, Seigneur, pourquoi Paulo ne pouvait-il pas aimer une femme ? » Cette exigence aberrante imposée par l’Eglise depuis le Xème siècle, elle a bien raison de la trouver problématique !
Quant à Agnese, comme je l’ai déjà laissé entendre, elle ne peut se résoudre à poursuivre une relation secrète, cachée autant que faire se peut, avec le prêtre. Et, bien sûr, on comprend son point de vue. Mettra-t-elle, cependant, à exécution sa menace de tout dévoiler au grand jour, au cours d’une messe que doit dire le prêtre ? Tel est le suspense qui plane à la fin du roman. Un roman qui, même s’il est tout imprégné par sa géographie et sa temporalité, n’en garde pas moins, à mon avis, son pouvoir d’interpellation, l’Eglise persistant toujours, absurdement, incompréhensiblement, à exiger des prêtres qu’ils restent célibataires, tout en n’ignorant pas qu’une partie non négligeable d’entre eux ne sont pas fidèles à cette exigence. Ce qui n’a rien de surprenant.

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