Fado
de Andrzej Stasiuk

critiqué par Tistou, le 12 avril 2018
( - 67 ans)


La note:  étoiles
24 nouvelles
« Andrzej Stasiuk est né à Varsovie en 1960. Militant pacifiste dans sa jeunesse, il passe deux ans en prison pour avoir refusé de faire son service militaire, expérience qu’il racontera plus tard dans Mury Hebronu (Les Murs d’Hébron). Après avoir travaillé pour des journaux clandestins au temps de Solidarité, il quitte Varsovie en 1986 et s’établit dans un petit village à l’extrême sud de la Pologne. En 1996, il y fonde avec Monika Sznajderman, sa femme, la maison d’édition Czarne. En 2005, il reçoit le prix Adalbert Stifter ainsi que le prix Nike, équivalent polonais du prix Goncourt. »
Polonais donc, on pourrait qualifier Andrzej Stasiuk de « Nicolas Bouvier de l’Europe de l’Est » ! Comme Nicolas Bouvier il a cette capacité à saisir des détails insignifiants d’un lieu, de personnages, de moments d’un voyage, à les saisir et à nous les donner comme preuves intangibles d’une réalité proprement indescriptible. Comme l’art d’une description en creux ; définir les « autour », les à – côté, pour mieux faire sentir l’insaisissable. Mais de l’Europe de l’Est (ou celle qu’on appelait ainsi avant la chute de Mur – vous savez ce fameux mur en ex-RDA), exclusivement de cette Europe là qui semble obnubiler notre Andrzej Stasiuk.
Romancier il n’est point. Sur les quatre ouvrages lus à la file aucun ne raconte une histoire complète, continue. Ce sont toujours des fulgurances. De lieux, de pays ou de personnages. De courts chapitres qui souvent constituent un tout, à relier, ou pas, au reste. Quant au style, il est remarquable. Peut-être aussi est-il remarquablement traduit ? En tout cas la lecture d’Andrzej Stasiuk est une lecture exigeante. De par les sujets, les thèmes abordés et par la sophistication de son écriture. A contrario on dira que ses ouvrages ne sont pas des « page – turners » !
Pour ce qui concerne « Fado », ce sont clairement des nouvelles disséminées dans l’espace. L’espace de l’Europe de l’Est (disons Centrale et Orientale), chère à Andrzej Stasiuk. Cette obsession pour cet espace qui fut longtemps contenu, étouffé, sous la férule de l’ex-URSS, et qui a quand même du mal à « rebondir », à trouver un nouveau mode de fonctionnement.
Ex-Yougoslavie, Roumanie, Slovaquie, Pologne, Ukraine, et Albanie qui lui semble particulièrement chère. Et les Tziganes. Ces Tziganes issus de ces confins orientaux et ostracisés partout lui paraissent paradoxalement créer comme un trait d’union entre tous ces pays.
Une de ces nouvelles est intitulée « Un on the road slave ». C’est exactement l’impression que laisse la lecture de ces courts chapitres. Que ce soit au volant d’un véhicule, en taxi ou dans un train, les réflexions qui lui viennent, les attitudes et comportements qu’il décrit sont ceux d’un voyageur curieux, un voyageur sur la route, « on the road ».

« Ce printemps, nous nous sommes perdus en Roumanie. Je m’étais trompé de route : au lieu d’aller vers la frontière hongroise, j’avais pris vers le sud-ouest, en direction d’Oradea. La nationale 19 était plutôt déserte. Le soleil était bas à l’horizon et aveuglant. Nous avions parcouru deux mille kilomètres sur les routes tortueuses de Marmatie, Bucovine et Transylvanie, nous étions fatigués. Nous voulions nous reposer de la folie des images et des paysages changeants, nous reposer de cette diversité permanente. Soudain, en face de nous, un convoi de Tziganes a surgi du néant lumineux des rayons dorés du soleil. Quatre roulottes attelées à des chevaux efflanqués, couvertes d’une bâche trouée et effilochée, sur lesquelles pendouillaient divers objets, des seaux, des bidons, des jerrycans en plastique vides. »

Notre ami Andrzej Stasiuk voue une vraie affection à ces « coureurs de route », inclassables, sans apparente nationalité que sont les Tziganes. C’est un thème qui revient fréquemment dans ses relations de voyage.
Oh, bouger ! Partir à sa suite vers les sommets des Carpathes, les forêts sombres de Transylvanie, le dénuement assumé d’un peuple en mouvance perpétuelle, galérer dans un méchant hôtel d’une imprononçable petite ville d’on ne sait plus où … Andrzej Stasiuk a cet art de nous donner envie d’aller toucher du doigt ce monde incertain, qui existe pourtant, et qu’on a tort de ne pas voir.