Donnacona
de Éric Plamondon

critiqué par Libris québécis, le 2 avril 2018
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
La Pêche au saumon
Le premier roman de Richard Brautigan s’intitulait La Pêche à la truite en Amérique. Le recueil de nouvelles d’Éric Plamondon pourrait porter comme titre La Pêche au saumon. Les deux auteurs se ressemblent à plus d’un point de vue. D’ailleurs, Éric Plamondon a consacré un livre à son auteur fétiche, soit Mayonnaise. Leurs œuvres dégagent un doux relent de parfum existentiel qui couvre un fécond questionnement. Comme pour les sports, les deux hommes consultent leurs statistiques personnelles pour analyser leurs faits d’armes et leurs coups foireux afin d’établir un bilan de carrière comme humain ayant atteint le mitan de la vie.

Avec une agilité bondissante comme La Truite de Schubert, l’écriture se débat dans le tourbillon de la vie pour atteindre la frayère. On se retrouve à Donnacona, la source du héros de la première nouvelle. Il a tout appris dans cet univers traversé par la dangereuse rivière de la Jacques-Cartier harnachée par une industrie de pâtes et papiers. Des amis y sont morts, d’autres sont des miraculés. On ne joue pas au draveur sur de la pitoune (ouvrier forestier qui marche sur les billes de bois transportées par le courant d’une rivière). La témérité des jeunes protagonistes fait frémir, mais ils sont solidaires, tous issus de solides clans familiaux et tous affectés à de menus emplois. En somme, cette nouvelle dresse un portrait initiatique que l’auteur peint en l’incrustant dans une filiation remontant même jusqu’à Jacques Cartier, qui força le chef indien Donnacona à le suivre lors de son retour en France, où il est mort en 1539. Avec Éric Plamondon, l’Histoire se tient prête pour bien sceller les dénouements.

La deuxième nouvelle exploite la vie adulte du héros. Elle examine le chemin parcouru depuis qu’il est marié. Peut-on être heureux loin de chez soi quand on empeste le sapinage et que la nature est incorporée à la personnalité ?

La dernière nouvelle est la plus riche, la plus poétique et la plus touchante. Le protagoniste revient dans sa Gaspésie natale à la mort de sa mère. Quel fil le retient à cette femme qui ne le reconnaît plus ? Croyant qu’il n’en a reçu que la vie, il réalise son importance le jour de ses funérailles alors que la population remplit la nef de la petite église de Ristigouche. Que de liens sa mère a tissés au cours de son existence ! Sur ce canevas, l’auteur a tracé toutes les ramifications invisibles qui réunissent tous et chacun. Comme un arbre contribue par ses racines à la vie des espèces avoisinantes, il peut en être de même dans bien des sphères. On le constate surtout quand le héros égraine les six heures d’une marée basse à arroser un béluga échoué sur les berges de la rivière Ristigouche. Ainsi, la grande chaîne de la vie continue à tourner si des maillons solides assument la suite du jour.

L’écriture irrigue des champs ensemencés de quelques grains historiques et sociaux afin que le propos joigne l’Universel. Les trois longues et magnifiques nouvelles coulent avec une grande fluidité pour que le taqawan (saumon) remonte à sa frayère. Autrement dit, à chacun de repérer la sienne.