Femmes de rêve, bananes et framboises
de Simonetta Greggio

critiqué par Eric Eliès, le 24 mars 2018
( - 49 ans)


La note:  étoiles
Un recueil sans cohérence, d'où émerge une nouvelle sur la mafia sicilienne
Ce recueil de sept nouvelles surprend par la diversité de tons et d’ambiances, qui ne transparaît pas dans la légèreté du titre et la présentation du 4ème de couverture qui évoque une suite de variations sur le sentiment amoureux. Plusieurs nouvelles parlent effectivement d’amour et de ruptures (avec plus ou moins de légèreté mais aussi avec beaucoup de larmes…) ; néanmoins, les textes les plus marquants sont ceux qui abordent des sujets graves, voire sombres, comme « Os de Lune » qui raconte l’évasion d’un prisonnier d’Auschwitz fuyant avec un chien de garde qui s’est pris d’affectation pour lui et « Signor Giuduce », où un tueur s’adresse au juge antimafia qu’il est chargé de surveiller. Une nouvelle a un ton inclassable, oscillant en équilibre instable entre le pseudo-tragique et le grotesque : « Tous les chiens tristes » où un homme, qui n’a plus les moyens de renouveler la concession d’un caveau dans un cimetière vénitien, ne sait plus quoi faire des cadavres de ses ancêtres qui ne se décomposent pas, comme embaumés par tous les conservateurs qu’ils ont ingurgité de leur vivant, et qu’il doit stocker dans sa cave…

Le problème de ces nouvelles, à mon goût, c’est le style narratif à la première personne qui, sauf dans « Signor Giudice », n’a ni profondeur ni densité. On a en permanence le sentiment d’une longue jacasserie, d’un bavardage qui s’étire sur des pages. C’est parfois presque insupportable dans certaines nouvelles qui suscitent le sentiment de lire des confidences sans intérêt ou de subir les épanchements de quelqu’un qui pleurniche à votre oreille (notamment dans « Nous sommes tous les enfants de Cassius Clay » et « Il pleuvait quand je suis partie »). Même quand l’auteure tente de distiller un peu de verve dans son récit, comme dans la nouvelle qui donne son titre au recueil ou dans « Tous les chiens tristes », ça ne prend pas. Une sorte d’agitation véhémente, un peu hystérique, brasse la surface des choses sans donner la moindre épaisseur au texte, qui reste désespérément anecdotique. Il m’a semblé que l’auteure avait ressentie cette vacuité et avait tenté de la compenser en s’appuyant sur un contexte historique ou des personnages connus capables de donner une résonance aux textes. C’est, pour moi, raté avec « Os de Lune » et « Quelque chose de bleu », qui narre les amours compliquées de Romain Gary et de Jean Seberg, où j’ai eu l’impression que l’auteure s’était contenté de poétiser un article lu dans un magazine. « Os de Lune » (du nom du chien) ne vaut que par son thème : l’évocation d’Auschwitz puis de la campagne polonaise où le prisonnier fuit avec son chien ont l’épaisseur d’un décor de théâtre… L’auteure esquisse des effets d’écriture mais ne pénètre pas son histoire : elle ne fait que la raconter.

En revanche, c’est très réussi avec la nouvelle « Signor Giudice » qui sauve le recueil de l’insignifiance et m'incite à le présenter sur CL. Le texte est réellement poignant, notamment parce qu’on a, cette fois, le sentiment que l’auteure connaît et ressent dans sa chair les souffrances des hommes et femmes de Sicile endeuillées par la mafia.