Les captifs
de Joseph Kessel

critiqué par Mauro, le 21 février 2001
(Bruxelles - 61 ans)


La note:  étoiles
Quelle idée de relire Kessel en 2001
J'ai relu Joseph Kessel, au hasard, parce que je n'avais strictement rien de solide à faire, à dire ou à rêver ces temps-ci.
Mais quelle idée de relire Kessel en 2001!
Les « Captifs », ça se passe dans un sanatorium de montagne peu après la Grande guerre. Des tas de gens plus ou moins cotés dans le « who's who » de l'époque y soignent ou y crèvent gentiment de leur tuberculose. Captifs de leur maladie et captifs de leurs pauvres fantômes.
Dans ce monde étriqué, il y a des histoires de coucheries, de beuveries, des parties de poker. Il y a du mensonge, de l'arrogance, de la médiocrité et des petites simplicités. Il y a de la résistance et du désespoir. Comme dans n'importe quel monde. Il y a aussi une histoire d'amour et le lecteur, conditionné par l'auteur, s'attend à une de ces foutues belles histoires qui s'achèvent dans l'apothéose ou l’écrasement de deux êtres. Et puis, c'est une histoire toute simple, transitoire, sans grands gestes. Un malentendu et trois reniflements sur quelques pages. Ces nantis ont, en somme, une vision très édulcorée de leur existence et de leur mort. Mais c'est pourtant à ce moment-là – au moment où s'étiole le récit linéaire d'une aventure à laquelle tout lecteur vaguement attentif s'attendait – que je me suis résolu à terminer ce livre.
Tout bon livre est bien sûr un grand voyage intérieur. Mais il n’a d’intérêt que lorsqu'il agite en négatif de ces petites déchirures que tout le monde porte en soi. Qui se reconnaîtrait aujourd'hui & sinon métaphoriquement – dans la quête de Perceval? Une histoire d'amour dans un sanatorium de la belle époque n'aurait eu que l'intérêt très limité d'une image d'.pinal. On devine depuis le premier chapitre que Marc Oetilé, l'antipathique personnage principal, vivra une transfiguration personnelle dans ce sanatorium. Une simple histoire d’amour eut été le procédé d'un auteur mineur. Kessel, au contraire, cultivera méthodiquement l’égocentrisme borné de son personnage, poussera celui-ci jusqu’à ses limites. Et Oetilé demeurera égal à lui-même : ce sont les mêmes exigences et les mêmes complexes qui le pousseront d’abord à faire le vide autour de lui pour ensuite se dévouer totalement au sort de cette adolescente condamnée par la maladie et aussi perdues que lui-même.
Tout bon récit est sans doute aussi le récit d'une rupture. Rupture avec le quotidien, la normalité, rupture avec soi-même. Les personnages des « Captifs » n'ont que cette alternative : le dépassement de soi ou la mort. Certains mourront donc, d'autres se révéleront à eux-mêmes. Quelques uns se dépasseront et mourront cependant. Gratuitement. C’est que la vie n'est qu’une loterie, ma bonne dame. Où irons-nous après tous ces efforts ? Qui comprendra ? Ne sommes-nous pas toujours seuls ? Au terme du livre, Oetilé, accompagnant son amie adolescente vers la mort, rencontre ce personnage qui les considèrent avec compassion. Est-ce un médecin ? C’est un romancier – c'est l'auteur de cette fiction – qui prétend écrire un livre sur « les malades », lui répond-on. Que pourrait-il y comprendre ? se dit Oetilé.