La poésie n'existe pas de Eugenio Montale

La poésie n'existe pas de Eugenio Montale

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Kinbote, le 10 mars 2018 (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans)
La note : 9 étoiles
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Portrait de l'artiste en être vaniteux

De 1946 à 1951, Eugenio Montale publie dans des journaux italiens des textes satiriques qui démontent le statut du poète, du philosophe, du chanteur et du peintre.

Il les dépeint dans leur être social, avides à la fois de singularité et de reconnaissance officielle, soucieux d'être subsidié tout en critiquant le "système".

" Le poète veut être subventionné mais réclame la liberté d’insulter ceux qui le subventionnent ; il veut que la critique soit libre mais également contrainte de s’occuper spontanément de lui. "

" Le poète n’aime pas les autres poètes, mais il se fait parfois anthologiste et rassembleur des vers d’autrui pour pouvoir y joindre les siens. "

Dans "Le parti des poètes", on lit ceci : " L’auteur, en outre, exhibe ad abundantiam sa photo et ses titres universitaires. Et le poète de 1950 ne connaissait pas les réseaux sociaux ! "

" Le poète est marxiste, christologue, adepte de l’urbanisme, de la technique et du progrès.
Ce portait aurait pu, depuis lors, être décliné sur le même moule en fonction des divers contextes artistico-politiques.

Aujourd’hui, même si le poète – croqué par Montale - est resté indécrottablement marxiste (le label est toujours rassembleur, utopiste à défaut d’avoir d’avoir fait ses preuves), on ajouterait volontiers: islamophile, écologique (tendance antispéciste), adepte du retour à la nature et de la décroissance, et tout à la fois, il va sans dire, contre le réchauffement climatique et les centrales nucléaires. À charge pour les politiciens qu’il vomit (du moins, ouvertement), et les scientifiques, qu’il méprise, de dépasser les contradictions et de régler les problèmes.

Soixante ans plus tard, rien n’a beaucoup changé, on le voit dans l’"artistique attitude", tant le portrait qu’en fait Montale est tout aussi cinglant qu'intemporel.

Dans le premier texte qui donne son titre au recueil, on trouve une non définition de la poésie. Dans le deuxième qui se lit comme une fable grinçante, intitulé "Un poète national", on a une version communiste de la chose, qui n’est pas sans rappeler, par certains aspects, la version belge. L’intellectuel décline une liste d'attributs de l’intellectuel (moyen). On y retrouve ce double aspect déjà cité consistant pour l'artiste à vouloir se démarquer de la plèbe tout en sollicitant les deniers publics.

" L’intellectuel n’arrive pas à vendre ses livres et demande l’intervention de l’Etat. "

Le portrait du peintre n'est pas moins accablant.

" Le peintre n’a rien dit. Mais il a délégué tout jugement à une clique de gens supposés compétents dont il accepte les leçons et le jugement. Le peintre peint par délégation, peint la pensée des autres. "

" Le peintre a trois voies : stylisation modérée du réel, réalisme figuratif ou photographique et peinture abstraite. Il juge opportun de les exploiter toutes les trois, en divisant son activité en étapes ou « période ». Il espère ainsi que l’une ou l’autre de ces trois périodes lui procurera la faveur de ceux qui fabriquent l’opinion publique. "

" Le peintre découvre avec stupeur que son coiffeur, son tailleur, sa concierge peignent mieux que lui. Ce sont des peintres du dimanche, les seuls qui possèdent une technique authentique, à une époque qui a détruit la technique académique, transmissible. "

Le musicien a aussi droit à quelques saillies.

" Notre époque est démocratique et n’admet pas une musique où certaines notes pourraient en dominer d’autres. (…) Cette poussière sonore réalise la vraie démocratie musicale, la civilisation de masse engendre légitimement la musique sérielle, et s’y opposer est la preuve d’un esprit incurablement réactionnaire. "

Dans l'article consacré au chanteur, on y savoure ces passages :

" Le chanteur n’est pas moins vaniteux que le compositeur et le chef d’orchestre, mais sa vanité est beaucoup plus naïve et voyante. Tout compte fait, c’est un modeste. Il meurt en serrant sur son sein un autographe du grand Leoncavallo ; aucun compositeur ne mourra en serrant sur son sein une photo du chanteur. "

" Le chanteur hérite du nom (pas la voix) de son père et même de son grand-père. Et souvent il s’appuie sur le nom dont il a hérité. Tant il est vrai qu’on chante avec tout sauf avec sa voix. "

Comme il est signalé dans la préface, le poète Montale s’affirme ici comme un excellent prosateur et, qui plus est, un fin pamphlétaire. À ceux qui penseraient que de tels constats auraient dû lui fermer à jamais les voies de la plus haute reconnaissance littéraire, précisons qu'en 1975 l’Académie suédoise lui remettra le Prix Nobel de littérature. Eugenio Montale est décédé en 1981 à l'âge de 84 ans.

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