Le Charmeur d'Océans
de Salvatore Adamo

critiqué par Eric Eliès, le 4 mars 2018
( - 49 ans)


La note:  étoiles
Une poésie fantaisiste où transparaissent la nostalgie de l'enfance et les cruautés du monde
Salvatore Adamo, surtout connu comme chanteur-compositeur, est aussi l’auteur de plusieurs recueils de poèmes. Celui-ci, dont le titre m’a séduit, fut édité en 1980 aux éditions Claude de la Lande (éditeur que je ne connaissais pas). Hélas, les poèmes, qui ressortent d’une veine fantaisiste se contentant d'entasser des images un peu faciles, n’ont pas la profondeur nécessaire pour provoquer la résonance qui est au cœur de la poésie véritable.

Mémoire : Ma mémoire est prise au piège / dans la forêt / où dorment encore les biches / qui sautaient de branche en lune / par la fenêtre de l’oubli / où tu te caches. / Ma mémoire est enchaînée / dans la cale / du grand voilier / aux ailes de marbre / embourbé / au fond de mon cerveau

Aube : La lune couche-tard / se dore sans pitié / à un petit soleil / à peine réveillé / aux yeux cernés de grosses dunes. / La mer a quitté son slip de bain / à petits pois / que la cuisinière écosse / devant son astronef / à l’instant où… / j’entame mon premier croissant / de lune / sans beurre s’il vous plaît.

C’est une poésie qu’on pourrait souvent qualifier d’enfantine. D’ailleurs de nombreux poèmes évoquent la magie de l’enfance (notamment ceux mettant en scène son fils Anthony) mais il serait trop réducteur de limiter la poésie d’Adamo à cette seule dimension du « merveilleux » car affleurent également des douleurs vives ou sourdes, devant les évènements du monde (la dictature, la guerre, le printemps de Prague, etc.), la misère et la solitude des grandes villes dans des poèmes aux titres évocateurs comme « Trop tard » et « Les jours où l’on ne vit pas » mais aussi « La vieille, l’idole et les oiseaux » (où Adamo évoque l’émotion qui l’étreint face à une vieille femme nourrissant des pigeons au jardin des Tuileries, tandis qu’il fait des photos pour « Salut les copains »…).

Jusqu’au sang : Les grands arbres à gueule de loup / ont mordu la nuit / jusqu’au sang, / la lave du jour coule / des veines de ciel / et va couvrir le perce-neige, / et il n’y aura plus d’amour, / la main de la barbarie / gantée de barbelé / a arraché le dernier soleil / au jardin de l’impossible.

Le recueil est divisé en plusieurs chapitres qui alternent poèmes courts et poèmes longs. Ces derniers s’appuient souvent sur une structure pseudo-narrative qui les rapproche d’une petite fable ou de la ballade pour chanter l’amour (notamment dans la section intitulée « la femme que j’aime est un pays »), l’amitié et la liberté ou dénoncer les menaces qui pèsent sur nos vies, que ce soit la guerre, la pauvreté, les ruptures ou le temps qui passe. A défaut de beauté poétique ou de musicalité intrinsèque, la poésie d’Adamo est pleine de bonnes intentions : il est donc regrettable qu’elle ne soit pas exempte de facilités inutiles pour se moquer des aristocrates et/ou des bourgeois et prendre le parti des « mauvais garçons ». Par exemple, cette clôture, presque dégueulasse (je ne trouve pas d'autre mot), de la ballade pseudo-villonnesque « Jemappes sur hier » où un homme évoque nostalgiquement son enfance :

(...)
Qu’êtes-vous devenus copains de vous ?
On était les rois non !
Et bien quoi ! Répondez-moi !
T’es flic… c’est pas grave / t’es mon pote !
T’es cocu… c’est pas grave / t’es mon pote !
T’es pédé… c’est pas grave / t’es mon pote !
T’as étranglé ta femme… c’est pas grave / t’es mon pote !
Tu t’es pendu… c’est très grave ! / mais t’es mon pote !

Poétiquement, les textes sont assez pauvres, hormis l’accumulation des images fantaisistes, et appellent une musique pour leur donner consistance. D'ailleurs, plusieurs textes ont été mis en chanson. Adamo est clairement plus chanteur ou chansonnier que poète : ses muses sont musicales et non poétiques. Ainsi, il célèbre à plusieurs reprises son amour de la musique, qu'elle soit de rue (comme dans "Flânerie à Manhattan") ou classique ; Lizst et Beethoven sont cités et même mis en scène dans des poèmes en forme d’hommage.

La musique et moi : Au bout du sentier / bordé de fraises bleues / la grotte ouvrait sa gueule de baleine / je m’y aventurai. / La salamandre gardienne du feu / me guida jusqu’au tabernacle / le grand prêtre Ludwig Van / en redingote de firmament / à col de plumes d’engoulevent / gravit les trois marches de l’autel d’ivoire / à bémols de jade / et consacra le soleil rouge / point sur le « i » du mot musique. / Et elle coulait la musique / tantôt paisible / tantôt impétueuse / comme des larmes / de tendresse et de joie / de passion et de drame. / Et à bord d’une barque en cristal / au fil de ce torrent symphonique, / je remontai la vie / l’enfance, l’avant-vie. / Et soudain j’eus l’impression / que je ne pourrais plus me libérer / de ce masque d’homme / qui m’étranglait… qui m’étranglait…

Le recueil est encadré par une préface de Raymond Devos et une postface de Jacques Brel, en 4ème de couverture. Toutes deux sont dithyrambiques et pleines de clichés sur l’imagination merveilleuse, l’humour et la tendresse de l’ami Adamo, gentil jardinier de l’amour… En fait, outre leur ton exagérément laudatif, ces compliments me semblent presque hors de propos car la poésie de Salvatore Adamo, au moins dans son intention, se veut davantage qu’un petit livre de fantaisie pour nous faire oublier quelques instants la cruauté du monde. Et c'est cette volonté qui la sauve d'être un simple ouvrage de divertissement...