Les formes élémentaires de la pauvreté
de Serge Paugam

critiqué par CHALOT, le 4 mars 2018
(Vaux le Pénil - 76 ans)


La note:  étoiles
un diagnostic lucide
Origine : http://ufal29.infini.fr/article.php/…
________________________________________
De Serge Paugam collection de Lien social 276 pages mars 2005 25 €
La pauvreté en Europe : un diagnostic lucide
Serge Paugam, sociologue, directeur d’Etudes à l’Ecole des hautes études en sciences sociales et directeur de recherche au CNRS nous livre ici un document passionnant : Il s’agit là d’une étude sociologique poussée, prolongée par une analyse accessible à d’autres publics que celui des sociologues. Le livre est structuré, bien charpenté avec un ancrage à la fois dans les études de Tocqueville, Marx et Simmel et à la fois dans les recherches conduites par l’auteur et d’autres chercheurs. L’articulation entre l’introduction, le corps du livre et la conclusion permet au lecteur de bien appréhender le contenu de l’œuvre et d’en ressortir avec un nouvel éclairage fort instructif et utile pour une connaissance de la réalité de la pauvreté et de sa diversité.
Ce livre « ne débouche pas sur un programme particulier, mais il entend stimuler la réflexion pour contribuer sinon à éradiquer, du moins à soulager les souffrances de ceux et celles dont le destin, un jour ou l’autre, croise celui de la pauvreté »
Ces éléments d’information apportés par l’auteur sur la pauvreté en Europe, sur les politiques publiques menées sont indispensables pour toutes celles et tous ceux qui combattent ce fléau social. Cette pauvreté, parfois massive et rarement résiduelle n’est pas inéluctable dans des pays qui regorgent de richesse et il n’y a pas d’autre extrême urgence que celle qui consiste à la combattre et à l’éradiquer totalement !
Le voyage à travers l’Europe que nous propose l’auteur de ce livre nous permet entre autres et très vite de prendre la mesure de la différentiation des situations et aussi des réponses institutionnelles et politiques apportées : Les trois groupes de pays ont une réelle existence :
- Les pays scandinaves avec un système de protection sociale poussée de type social-démocrate définissant une université des droits ;
- L’Allemagne, la France et la Belgique avec la défense des intérêts et droits acquis ;
- Le Royaume uni et l’Irlande qui interviennent au niveau minima dans le domaine de la protection sociale.
Ceci étant posé et expliqué, Serge Paugam définit trois formes de pauvreté, qu’il décline en s’attachant à distinguer ce qui est commun et spécifique en fonction du niveau économique de chaque pays et de sa culture
- « La pauvreté intégrée traduit une configuration où ceux que l’on appelle « les pauvres » sont nombreux. Ils se distinguent peu des autres couches de la population » C’est ainsi que dans les pays du sud, les solidarités familiales et aussi l’économie parallèle permettent aux personnes connaissant la pauvreté d’être intégrées, aidées. Rien n’est identique dans chacun des pays concernés, la réalité de cette pauvreté et le traitement social différent ; Le clientélisme peut être très prégnant quand les aides sont à la personne et délivrées localement en fonction de l’appréciation portée par le « travailleur social »
- « la pauvreté marginale renvoie à une configuration sociale différente dans laquelle ceux que l’on appelle les « pauvres » ne forment pas un vaste ensemble social peu distinct des autres couches sociales, mais au contraire une frange peu nombreuse de la population » ...Ils sont parfois considérés comme des marginaux ou des cas sociaux.... C’est une pauvreté réelle même si parfois elle est niée, elle touche des populations particulièrement vulnérables, subissant les accidents de la vie.
- « la pauvreté disqualifiante traduit une configuration sociale où ceux que l’on appelle les « pauvres » sont de plus en plus nombreux et refoulés, pour la plupart, hors de la sphère productive » C’est ainsi qu’une majorité de français ne se considère pas à l’abri. Le chômage et la pauvreté n’arrivent pas qu’aux autres ! L’analyse de la situation des « banlieues » du moins de certaines banlieues est particulièrement percutante, elle montre les effets d’une concentration géographique d’une population vivant l’exclusion et les différences notables entre la réalité française et celle des Etats Unis...Il n’y a aucune commune mesure entre les situations de ces deux pays, certes, et c’est précisé, mais il est urgent que l’on réfléchisse et agisse pour qu’une politique pensée et cohérente soit menée pour s’attaquer aux causes de la « crise des banlieues françaises ».
Chaque forme élémentaire de la pauvreté ainsi présentée « correspond à un état d’équilibre relativement cristallisé des relations entre des individus inégaux ( des pauvres et des non-pauvres) à l’intérieur d’un système social formant un tout. » Autrement dit, il existe une relation réelle d’interdépendance entre les pauvres et la société dans laquelle ils vivent.
Ce livre se présente comme un diagnostic solide de la pauvreté sous toutes ces formes à partir de nombreuses études comparatives et nous propose avant tout une sociologie du lien social, indispensable pour chaque citoyen. La pauvreté c’est aussi l’affaiblissement du lien social et l’isolement, aussi le combat contre la pauvreté passe par une politique de solidarité, de justice sociale, d’accompagnement et aussi de re mobilisation sociale afin que chacun puisse vivre décemment avec les autres.
Cette oeuvre de Serge Paugam est un outil indispensable pour la compréhension de la réalité de la pauvreté et pour alimenter notre réflexion commune qui doit nous mener à agir pour que la pauvreté soit combattue et vaincue.

Jean-François CHALOT