Made in China
de Jean-Philippe Toussaint

critiqué par Kinbote, le 7 février 2018
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
Les tribulations d'un écrivain belge en Chine
Depuis une quinzaine d’années, Jean-Philippe Toussaint entretient des relations artistiques et amicales avec la Chine et, en particulier, avec Chen-Tong, son éditeur chinois (auparavant éditeur de Robbe-Grillet et Beckett) et producteur de quelques-uns de ses derniers films, dont "Fuir" en 2008.

C’est à l’occasion du tournage en 2014 de The Honey Dress, la scène qui ouvre "Nue", le dernier roman de son cycle romanesque, M.M.M.M, qu’il se rend là-bas.

Made in China est donc à la fois le journal des préparatifs du tournage et une réflexion sur le hasard et la fatalité (qui rappelle son essai sur L’urgence et la Patience).

« Dès lors que nous sommes engagés dans l’écriture d’un livre, il obéit à une fatalité qui nous dépasse. En somme, la fatalité que l’œuvre porte en elle est irréductible à la somme des hasards qui la composent. »

La lecture achevée, on peut regarder le film (via le lien proposé à la fin du livre) qui décevra certainement mais nous fera, en regard, préférer le livre-prétexte de 180 pages.

En 1989, lors d’une interview qu’il m’avait accordée, paraphrasant un propos de Kundera que je lui demandais de commenter, il répondit : « Puisque l’essentiel dans un film est ce qu’on ne peut dire que par un film, quiconque est assez fou pour adapter des romans au cinéma aujourd’hui doit les filmer de manière qu’on ne puisse pas les raconter. »

C’est à voir car on assiste à un jeu de mise en abyme qui peut parfois désorienter mais auquel, au fil des livres et depuis Autoportrait à l’Etranger, nous a habitués Jean-Philippe Toussaint qui rend compte du réel mais en le romançant (« Car même si c’est le réel que je romance, il est indéniable que je romance. »). Tout en pratiquant, dans la première partie du livre, de constants allers-retours entre passé et présent.

Made in China, ce sont les tribulations d’un écrivain belge en Chine. Où les acrobaties d’un Belmondo (dans le film de de Broca tiré du roman de Jules Verne) seraient ici remplacées par des voltiges verbales, où à l’esprit d’aventure s’est substitué l’étonnement par rapport au réel qui semble toujours se conformer à nos désirs, du moins, prendre, à mesure qu’il s’organise en fiction, une forme qui en tiendra lieu.

Même si Jean-Philippe Toussaint ne note pas de faits caractéristiques, de signes patents sur la Chine actuelle, quelque chose de la couleur locale, de l’esprit chinois transparaît. À la lecture de ce livre, comme des précédents, on sourit souvent, on rit pleinement parfois (la scène où il se présente en chinois à trois jeunes filles hilares), on épouse le point de vue du narrateur.

Malgré la ténuité du propos, son caractère hybride (entre journal, essai et récit), la magie toutefois opère, une fois encore. Car, depuis La Salle de Bain en 1985, Jean-Philippe Toussaint a inventé un ton singulier, un déhanché de phrase, une désinvolture unique dans la littérature française, une manière de rendre compte de l’anecdotique entre attention et flottement et, pour tout dire, un côté zen affirmé et affiché. Une patte, un style propre qui nous imprègne de ce qu’elle saisit, nous met à la place du narrateur à tel point qu’on aurait presque le sentiment de vivre ce qui nous est relaté au moment où on le lit.

« La possibilité qu’un livre achevé ait été écrit exactement comme il a été écrit est quasi nulle. (…) Le livre qu’on termine, comme la vie qui s’achève, clôt définitivement cette ouverture aux possibles. L’œuvre, ou la vie, se referme au vent des fortuits, et devient la fatalité qu’elle devait être. »

Ainsi va la vie, ainsi se font depuis trente-trois ans les livres de "Monsieur" Toussaint…