Lumière dans les ténèbres
de Philippe Remy-Wilkin

critiqué par Débézed, le 14 janvier 2018
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
"Tout est à l'inverse"
Il y a bien longtemps que je n’avais pas croisé, au creux d’un paragraphe, le comte de Saint-Germain, ou Cagliostro, ou sous d’autres noms d’emprunt ce personnage qui erre dans l’espace et le temps sans jamais vieillir. Philippe Remy-Wilkin le fait revivre, non il ne meurt jamais, le fait vire tout simplement dans son épais roman sous le non du comte de Smaragda. Il en fait l’un des principaux protagonistes de l’étonnante affaire qu’il met en scène, une histoire qui commence par une disparition bien mystérieuse dans une chambre close. Les éléments essentiels du roman gothique sont déjà présents : la chambre close, la disparition mystérieuse, l’occultisme, un personnage de légende échappant aux lois de la nature…

« … nous avons appris avec consternation la disparition du baron d’Alladières… Il était aux environs de 23 heures, cette nuit (13 juillet 1865), quand la police bruxelloise a été mandée au numéro… de la chaussée de Waterloo, à Uccle… Les gardiens de la paix discutaient dans le hall avec leur hôtesse quand d’horribles hurlements ont jailli depuis le premier étage, … Tous se sont précipités. La plus jeune fille du baron… se trouvait devant la porte de son père, prostrée à même le sol… la porte était fermée et le silence seul a répondu aux appels angoissés… A l’intérieur, tout parait en l’état habituel, mais de d’Alladières nulle race. Le silence absolu.
….
Que s’est-il donc passé derrière le mur du castel ? Où sont passés le criminel et sa victime ?.... ».

Cet extrait de L’Indépendance belge, du 14 juillet 1865, expose l’essentiel de l’énigme que l’auteur va développer tout au long de son vaste roman qui met en scène outre le baron d’Alladières, son épouse, ses enfants, ses amis, héros de l’indépendance belge, ses ennemis de diverses origines, et tout une théorie de personnages plus louches les uns que les autres, tous aussi mystérieux les eux que les autres. On rencontre parmi eux l’incontournable comte de Saint-Germain sous diverses identités comme de coutume, Baudelaire lui-même, des personnages historiques, des personnages de légende, des personnages mythiques, … toute une troupe que l’auteur dirige avec la maestria d’un général napoléonien sur le champ de bataille. Il est bien difficile d’en dire plus sur l’enquête menée, dans un premier temps, par le Vidocq belge de l’époque et le Rouletabille de service, sans risquer de dévoiler le fil de l’intrigue fort complexe élaborée par l’auteur. Les personnages sont nombreux, pas toujours définis, souvent grimés, changeant d’apparence et d’identité, apparaissant, disparaissant, réapparaissant, il faut être très vigilant pour essayer de comprendre qui est qui car, de plus, comme le dit la voyante instrumentalisée tout est à l’inverse.

« Quand l’esprit galope à rebours, pour assembler les pièces du puzzle ?
La chambre close
Le baron d’Alladières, un personnage si fascinant. Jan Venegoor of Hesselinck. Le comte Smaragda et Hugo Kacelenbogen, le Mélomane. Charles Baudelaire et Gérard de Valnère. Vivien et Aymon de Sainte-Marie. Disparitions et apparitions. Le fantôme. Le baron. Dans le cimetière. Rajeuni. »

Avec ce long roman gothique Philippe Remy-Wilkin s’inscrit dans une longue lignée d’auteurs qui ont fait la fortune du roman d’énigme, plus ou moins ésotérique, plus ou moins noir, plus ou moins historique, plus ou moins légendaire. Ma lecture m’a rappelé celles de certains écrivains, cités ou non par l’auteur, qui avait une part de familiarité avec ce texte. J’ai pensé en commençant au plus ancien d’entre eux, Charles Robert Maturin et son Melmoth, l’homme errant, puis à William Wilkie Collins, à Joseph Sheridan Le Fanu, à Victor Hugo, à Ponson du Terrail et d’autres encore pour terminer par Umberto Eco et Le pendule de Foucault. Il en fait intervenir certains par le truchement de Baudelaire : de Quincey, Poe, Dickens… Ce livre pourra donc être rangé sur le rayon des grandes énigmes occultes qui ont excité et titillent encore des milliers de lecteurs. Les grands romans noirs de notre époque puisent directement leurs racines dans ce riche terreau.

L’auteur fait dire à l’un de ses personnages :

« L’on tend désormais à préférer les ténèbres à la lumière, et c’est le règne de la gothic novel, Sade et la sexualité, les vampires et l’horreur, Vidocq et le crime. On quitte les salons pour fouiller dans les poubelles ou les bas-fonds de l’âme. Et ce n’est pas dégoûtant, c’est passionnant, neuf, vivifiant. Adieu perruques et poudres, artifices et mensonges. »

La grande force et l’habilité de Philippe Remy-Wilkin a surtout été de mêler, sans jamais s’emmêler, des personnages et des événements issus directement de l’histoire, celle de la naissance de la Belgique notamment, des légendes dont celle du Hollandais volant dont il raconte longuement la naissance au son du Vaisseau fantôme de Wagner qu’il fait intervenir dans le récit, des extraits de la tradition ésotérique rosicrucienne et d‘autres notamment celle de Cagliostro, le comte de Saint-Germain ou de Smaragda pour la circonstance, des personnages traditionnels et des événements des folklores et des croyances belges et hollandais. Un roman qui serait presque une somme de tout ce qui a été écrit dans ce domaine depuis au moins deux siècles, qui est une excellente source pour se remettre en mémoire toute cette littérature mais aussi l’histoire de la Belgique que certains, comme moi, connaissent certainement bien mal. Et, comme ce livre est très agréable à lire, les pages tournent vite, car il y a au moins un mystère par chapitre, c’est un excellent moment de lecture fort instructive.

Et pour clore mon propos, je voudrais reproduire cette citation pleine de sagesse que l’auteur a mis dans la bouche de l’un des protagonistes : « Recherche la beauté, qu’elle soit fille de la Nature ou de l’Artifice. Ne te contente pas d’être. L’animal est, quand l’homme devient ».