Hérétiques
de Robert Ian Moore

critiqué par Colen8, le 14 janvier 2018
( - 82 ans)


La note:  étoiles
Les persécutions d’avant les guerres de religion
Au terme d’une carrière d’historien médiéviste reconnu, le britannique Robert Moore a décidé de revoir sa copie sur ce qu’aurait représenté l’hérésie dans la chrétienté latine entre les XIe les XIIIe siècles, en tant que changement capital dans l’émergence de l’Europe moderne. Il analyse en gardant un œil critique sur l’incertitude de certaines sources une période à la fois chaotique et marquée par une forte croissance. En effet pendant que l’activité des riches marchands battait son plein dans les villes, que la noblesse s’efforçait de conserver sa domination sur les campagnes et le pouvoir épiscopal de maintenir l’unité de l’Eglise avec l’aide des abbayes, le peuple subissait le tout. Est apparue alors une violence arbitraire à l’encontre de soi-disant hérétiques perçus comme une menace par les pouvoirs séculiers et religieux en train d’accaparer la richesse accompagnant cette expansion du commerce.
Des prédicateurs et leurs adeptes choqués par le matérialisme et la corruption, influencés par le néoplatonisme jusqu’à s’engager dans une vie apostolique comparable à celle des tout premiers chrétiens, apparaissent ici ou là en clamant leur anticléricalisme. Ils réfutent une partie des sacrements, dénoncent avec véhémence la simonie(1) en faveur d’opportunistes plus pressés d’accumuler les biens et les privilèges que d’observer la chasteté, de faire preuve de probité, ou même de sauver les âmes. Les méthodes de dénonciation systématique initiées par les ordres mendiants de franciscains et de dominicains sous couvert de menaces plus perçues que réelles contre l’Eglise ont été à l’origine de ce qui deviendra l’Inquisition. Les fréquentes condamnations au bûcher et à la confiscation de leurs biens des personnes accusées d’hérésie ont naturellement favorisé de petites ou grosses vengeances personnelles. Une des conséquences de la croisade de 20 ans contre les Albigeois en dépit de son abominable barbarie n’a-t-elle pas été le rattachement définitif de l’Occitanie, autrement dit des terres du comte de Toulouse et celles de ses vassaux à la couronne de France ?
A Rome pendant ce temps, les choses étaient compliquées entre les rivalités des grandes familles pour l’accès à la papauté, et les obligations simultanées de celle-ci à se battre sur plusieurs fronts afin de :
- éviter d’autres schismes avant celui de la Réforme luthérienne(2),
- asseoir son pouvoir temporel face à l’empereur, aux rois et aux seigneurs,
- faire reconnaître la prééminence de l’évêque de Rome sur les évêques et archevêques nommés plus souvent par les autorités séculières,
- imposer progressivement le célibat des religieux afin d’éviter la dispersion par héritage de leurs biens acquis à l'Eglise,
- combattre les hérésies fleurissant dès lors que des fidèles ont eu accès aux traductions du Nouveau Testament et ne se sont plus reconnus dans les rituels de l’Eglise.
(1) Pratique en référence à Simon le magicien, consistant à acheter ou vendre les charges ecclésiastiques, fréquente en cette période médiévale.
(2) Le Grand Schisme (1054) traduit la rupture entre les Eglises de Rome (catholique) et de Constantinople (orthodoxe) au terme de plusieurs siècles de tension depuis la chute de l’empire Romain.