Cinéma Royal
de Patrice Lessard

critiqué par Libris québécis, le 4 janvier 2018
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Comme au cinéma
Louiseville, ville natale de l’auteur, est une municipalité de 7500 habitants sise le long du fleuve Saint Laurent. Elle a certes connu un passé glorieux, mais son présent, comme de nombreuses petites villes, ne se conjugue qu’avec des souvenirs. Le roman de Patrice Lessard traduit sans amertume son avenir peu prometteur.

Son héros Jean-François habite dans un ancien cinéma transformé en appartements miteux. La vie culturelle s’est tournée vers les grands centres urbains. Et l’hôtel Windsor, fort élégant jadis, s’est transformé en troquet bas-de-gamme où s’attroupent les pochards impénitents et les accros aux vidéo pokers pour y simuler un semblant de vie. Jean-François est le barman de ces grands flancs mous sourds à l’appel au dépassement. Ils apprécient leur petite vie ennuyeuse, mais quand Luz Santander, une flamboyante Espagnole mariée à un avocat de la petite pègre locale, se pointe dans le bar, le narrateur et héros du roman connaît des palpitations à provoquer un anévrisme amoureux. Il se sent revivre au point de se fendre en quatre pour satisfaire ses caprices œnologiques. Il se voit déjà l’amant de cette dame qu’il imagine prête à divorcer pour vivre avec lui. Femme d’avocat choyée se métamorphosant en compagne d’un pauvre désabusé. Au moins sa présence le fait rêver au bonheur.

Avec elle, qui le laisse croire à un amour envisageable, il s’initie aux grands crus espagnols qu’il se procure grâce à ses deniers à Trois-Rivières, la capitale de la région avec son port et son université. Le vin sert de point de ralliement comme le cinéma qui complète ce tandem en route vers le paradis de Cupidon. L’itinéraire ne suit pas les jardins de fleurs. Jean-François se butte aux silences de l’énigmatique Espagnole. Et l’espionnage de la belle maison où elle habite ne l’instruit pas davantage sur les intentions de la belle. C’est même un exercice très périlleux. Tout se sait dans une agglomération de quelques milliers d’habitants qui vivent sous la botte d’un gang criminel.

Le traitement du sujet est très original. L’auteur narre son récit à travers des films ou des romans cultes que le duo lit ou voit. Ses personnages rejouent avec brio des trames ou des scénarii célèbres comme Fenêtre sur cour de William Irish devenu Rear Window de Hitchcock ou Manhattan Murders Mystery de Woody Allen. Patrice Lessard s’en est s’inspiré sans les imiter. Comme eux, il se sert de la rencontre new yorkaise comme point d’arrivée alors que le signal du départ a été donné à Louiseville où rien ne flamboie. Le voyage romanesque se devait de choisir comme destination une ville haute en couleurs.

C’est un roman sur l’obsession d’un homme en quête d’un désir inarticulé. L’arrivée de Luz, sa lumière au bout du tunnel, le jette dans des quiproquos qui le laissent pantois. Difficile de quitter ses pantoufles pour devenir le chevalier de la belle Espagnole. Il se lance tout de même le défi de la conquérir, mais Louiseville n’offre qu’un décor peu avantageux aux passions. Le canevas est bien brodé pour plaire au lectorat. Le bât blesse quand on passe à l’écriture. Quel style lourd ! Des alignements de propositions qui rappellent Proust sans son art, des inversions de compléments incongrus. La simplicité a bien meilleur goût. Il reste que l’auteur a su sauvegarder notre plaisir de le lire.