Comment cette histoire a pris fin
de Piero Calamandrei, Caterina Arciprete (Dessin)

critiqué par Eric Eliès, le 16 décembre 2017
( - 49 ans)


La note:  étoiles
L'humanité est morte et nul n’en a rien su
Dans ce petit texte aux allures de conte philosophique écrit dans les années 50, Piero Calamandrei, plus connu en Italie comme juriste et homme politique engagé, imagine la disparition soudaine de l’humanité et digresse sur les causes qui ont conduit les peuples à un immense suicide collectif.

Dans le contexte d’après-guerre marqué par la course aux armements et hanté par les bombardements d'Hiroshima et Nagasaki, l’auteur, qui n’évoque aucun pays réel (sauf une allusion au Japon) et ne fait aucune référence explicite à la guerre froide, raconte simplement comment, presque comme l'aboutissement inéluctable de nos pulsions belliqueuses, fut inventée une arme terrible et sélective, sous la forme d’une bombe dont le rayonnement a la capacité, en épargnant tous les autres êtres vivants, d'anéantir instantanément les êtres humains, qui sont désagrégés en un joli petit nuage de poudre qui se dissipe au vent... Quand l’arme fut utilisée, par surprise et sans la moindre déclaration de guerre, les erreurs de calculs des scientifiques, qui n’avaient pu effectuer de test grandeur nature, provoquèrent la disparition instantanée de toute l’espèce humaine. L’auteur brosse alors un portrait de la Terre débarrassée de la présence humaine comme soudainement guérie d’une mauvaise maladie.

Le passage de l’homme avait été comme de la rouille, une gale, un épisode effacé. Quelques millénaires suffirent – un instant – et le monde était guéri ; chaque souvenir enterré et enseveli.

La fin de l’humanité n’est pas la fin du monde, même si c’était l’orgueil de l’humanité que de le croire : la Terre continue, comme de rien, sa course autour du soleil tandis que les plantes et les animaux reconquièrent les villes et effacent peu à peu toutes les traces de la civilisation humaine. Seuls, dans les premiers mois, les chiens manifestent un peu de nostalgie, en s’arrêtant devant une statue ou levant la patte aux mannequins ornant les vitrines des magasins désertés !

Le ton de l’auteur est léger et simple, voire un peu plat même si non dénué d'intérêt et de subtilité. Le texte peut parfaitement être lu par de jeunes adolescents. Contrairement à Shiel dans « Le nuage pourpre » (dont j’ai fait une critique sur CL), il ne cherche pas à dépeindre le silence et l’absence qui étreignent les villes abandonnées ou, comme Quiroga dans ses contes fantastiques, à représenter la puissance des forces de la nature sauvage. Seules les remarquables illustrations (pleine page) de Caterina Arciprete, en prolongeant les échos du texte, distillent un peu d’étrangeté et d’onirisme. Le propos de Calamandrei est clairement philosophique. Avec un ton de vieux sage, il évoque comment le sentiment du temps qui passe et la compréhension de notre finitude mortelle ont creusé dans l’esprit humain une source d’angoisse existentielle, qui a nourri de mélancolie les arts et la poésie (dont l’auteur manifeste une compréhension assez fine) mais aussi suscité des croyances, religieuses ou matérialistes, qui ont empêché l’homme de jouir de l’instant présent et ont développé une propension au sacrifice au nom de grandes causes. Espoir vaniteux puisque, au final, rien ne subsiste d’une humanité qui a péri par excès d’intelligence, comme si l’hypertrophie de son cerveau avait conduit à l’extinction de l’espèce humaine, disparue comme autrefois le tigre à dents de sabre victime du développement excessif de ses canines devenues encombrantes et inutiles...

Le texte s’achève sur les promesses des avenirs en gésine dans les limbes du temps. Après l’humanité, la vie trouvera d’autres issues, dans un peuple de papillons qui vivra heureux dans l’ignorance de la mort qui est le secret qu’il ne faut pas dévoiler . Tout est possible… y compris, peut-être, que le ciel s’ouvre et que Dieu, d’une voix tonnante à réveiller les morts, accomplisse la prophétie de la Résurrection !