Booming
de Mika Biermann

critiqué par Feint, le 8 avril 2018
( - 60 ans)


La note:  étoiles
Temps variable sur Booming
Mika Biermann (c’est notamment le récent auteur de Mikki et le village miniature) a écrit un roman où il est question du temps qui s’arrête, ralentit ou même retourne en arrière, selon par exemple qu’on est du pays ou qu’on arrive d’ailleurs ; et tout cela avec une rigueur quasi scientifique : impossible d’agir sur un monde au temps arrêté ; tout y est dur et figé, on s’y transperce les doigts au contact des poils d’un lapin qu’on veut saisir, on s’y trancherait le cou à se précipiter imprudemment contre un fil d’araignée. Les règles du genre vous sont familières, vous l’avez à coup sûr reconnu : Booming, le nouveau roman de Mika Biermann, aux éditions Anacharsis, est évidemment un western (un peu à la même manière de son auteur qui, au cas où vous ne le sauriez pas, est un Allemand de Marseille).
D’ailleurs si je vous dis que Pato Conchi et Lee Lightouch se rendent à Booming parce que Kid Padoon a enlevé la fiancée de Conchi, et que c’est là la motivation première et essentielle de nos deux protagonistes (enfin, surtout de Conchi, on le comprend) – car ils vont par deux –, vous admettrez que j’ai raison, ou tout au moins que je n’ai pas encore complètement perdu cette dernière. Tous les ingrédients du western sont là : le paysage, d’abord, le seul à s’en tirer un peu parce que moins atteint par la frénésie de mouvement qui nous anime ; et puis les personnages, les bandits, le shérif véreux, les prostituées, le croque-mort ; et les thèmes, qui sont comme la musique du roman, la belle amitié d’abord qui lie nos deux héros, le destin dessiné par la trajectoire des balles en suspens, dont on sait à l’avance les victimes sans pouvoir les sauver si l’envie nous en prenait – et quand le temps se ralentit le western un instant devient spaghetti, gros plans sur la balle qui approche, sur le visage grimaçant de sa cible ; et puis, surtout et de plus en plus au fur et à mesure qu’on avance dans la lecture, la nostalgie, car le western reste avant tout pour nous l’évocation mythique d’un passé pourtant récent mais déjà disparu.
Les mystères de l'Ouest 7 étoiles

Booming c’est un peu la "Quatrième Dimension" à la mode cow-boy. Parce que sur un "décorum" où Mika Biermann aligne avec une évidente gourmandise toutes les icônes du genre, tel un western-spaghetti (comme l’évoque très justement Feint dans sa critique) il greffe, avec là aussi une joyeuseté débridée, des phénomènes paranormaux dignes d’une série de science-fiction : on y voit le temps se figer, reculer, accélérer, se disloquer...(d’ailleurs la "Quatrième Dimension" n’est-elle pas celle du temps justement ?, ma comparaison tombe à pic !).

Bon, je le reconnais, très vite, aux alentours de la page cinquante peut-être, j’ai commencé à perdre pied tant les dérèglements temporels donnent le tournis et mettent la pagaille au fil narratif, ce dont a dû s’amuser grandement l’auteur... J’ai eu beau essayer de dessiner un petit croquis pour m'y retrouver, je n’y suis pas vraiment arrivé ! Je m’en fiche un peu à vrai dire : j’ai personnellement beaucoup aimé cette approche, à la fois conceptuelle et rigoureuse, foutraque et farceuse, d’autant que la prose de l’auteur, d’origine allemande mais qui écrit en français, fait preuve d’une impressionnante maîtrise non dénuée de poésie.

Je trouve que les deux protagonistes, Conchi et Lightouch, tel Sancho Pancha et Don Quichotte, perdus dans les labyrinthes temporels de ce Triangle des Bermudes que s’avère être la mystérieuse bourgade de Booming, nous interrogent aussi, dans un exercice de style brillamment réalisé, sur le temps en littérature et sur ce qui le définit. Merci aussi à Mika Biermann pour avoir fait référence, dans l'exergue de son roman, à une des œuvres du prolifique Louis l'Amour, la Vengeance de Kate Lundy, dont le souvenir perdu dans les limbes de mon passé m'est revenu avec tendresse !

Fanou03 - * - 48 ans - 11 mai 2018