Ederlezi: Comédie pessimiste
de Velibor Čolić

critiqué par Pucksimberg, le 9 décembre 2017
(Toulon - 44 ans)


La note:  étoiles
Velibor Colic est un grand écrivain ! A découvrir ...
" ... je m'appelle Azlan Tchorelo, Azlan Bahtalo et Azlan Chavoro Baïramovitch et je suis mort ce matin. Hier encore j'étais un homme, un Rom et un parrain, mari, oncle et frère - maintenant je suis juste un corps, long et froid, avec quelques taches gris cendre sur mon visage. Hier encore j'étais chanteur, arnaqueur, ange noir, maître du couteau et bourlingueur, aujourd'hui je me trouve sur une table en métal, déposé quelque part dans un hôpital à Calais."
Le roman s'ouvre sur ce paragraphe qui donne la parole à un mort. Le ton est donné : ce texte contiendra de la fantaisie avec un personnage qui a eu trois existences, il mettra en scène l'univers des Roms et le merveilleux se faufilera parfois dans le récit.

Le lecteur suit donc ce même personnage, ou ces trois individus, durant le XXème siècle. Par le truchement de ce personnage, c'est le peuple Rom qui est décrit. Ce sont les multiples conflits auxquels il a été confronté qui sont dépeints ( seconde guerre mondiale, jungle de Calais, racisme ordinaire et violence ... ). Ce héros est en fait le porte-parole de ce peuple qui n'a pas souvent la parole, mais qui s'exprime avec énergie et mélancolie par la musique. Les orchestres traversent tout le roman et ponctuent toutes les scènes marquantes ( mariages, festivités, enterrements ... ). Le style même de l'auteur suit cette musicalité. Le récit avance de manière chronologique sans étouffer le lecteur sous un amas de péripéties. Au contraire, le roman multiplie les portraits et les anecdotes si bien que l'essentiel est dans la reconstitution poétique du monde des Roms qui n'appartiennent à aucun lieu particulier ou qui appartiennent au monde entier en réalité.

Velibor Colic est un écrivain bosnien qui vit en France. Il écoutait la musique tsigane dans son enfance et cela se perçoit dans son roman. Sa sensibilité et son attachement à ces hommes s'entend de manière évidente. Il connaît de nombreuses légendes liées à cette culture, évoque avec précision leurs coutumes et leur mentalité. Certaines scènes sont touchantes et s'éloignent de l'image véhiculée par les Occidentaux. Cela fait du bien ! Derrière quelques allusions amusantes et légères il y a la tragique condition des Roms, toujours pourchassés et rejetés, affublés des pires réputations imaginables. Le sous-titre du roman "Comédie pessimiste" souligne bien que derrière le rire se cache un problème grave, leur statut.

"Ederlezi" est une fête qui annonce le retour du printemps, mais c'est aussi le titre d'une chanson tsigane célèbre, très touchante. Cet univers n'est pas sans rappeler l'atmosphère du film "Le Temps des gitans" d'Emir Kusturica et l'une des plus belles du cinéma dans ce même film, celle du mariage où est chantée "Ederlezi".

Je suis séduit par le style de Velibor Colic. Son roman est porté par une musique très agréable et son humanité fait plaisir à lire. Tous les personnages décrits laissent un souvenir tendre dans notre esprit. Le roman reste tout de même engagé, ou du moins invite à la réflexion. La jungle de Calais nous concerne bien et il est difficile de fermer les yeux sur cette triste réalité. Lorsque l'auteur évoque des skinheads aux emblèmes nazis qui s'en prennent à des Roms avec une violence extrême tout en chantant la Marseillaise en allemand, le lecteur est vraiment mal à l'aise. Surtout que l'écrivain enchaîne sur une l'expulsion violente des migrants dans la jungle de Calais. Le rapprochement entre les deux a un effet coup de poing, il peut heurter, mais surtout faire réfléchir ...

Depuis 6-7 ans, j'ai eu quelques chocs littéraires : la découverte de Wajdi Mouawad avec "Anima", celle de Patrick Chamoiseau avec "Les neuf consciences du malfini", désormais vient s'ajouter Velibor Colic.