Lefranc, Tome 28 : Le principe d'Heisenberg
de Jacques Martin, François Corteggiani (Scénario), Christophe Alvès (Dessin)

critiqué par Shelton, le 15 novembre 2017
(Chalon-sur-Saône - 67 ans)


La note:  étoiles
Du solide à lire avec un peu de nostalgie...
C’est en 1952 que Jacques Martin, l’auteur de bandes dessinées et pas l’amuseur public, ouvre les aventures de Guy Lefranc par un remarquable album, La grande menace. Je n’étais pas encore lecteur de bédés car pas encore né et comme le rythme de parution fut assez lent, j’avoue que je n’avais pas trop de retard quand je me mis à la lecture de cette série, en 1970, avec l’histoire Le repaire du loup qui se déroulait dans les Alpes suisses…

Cette série a connu de nombreux changements de dessinateur dans un premier temps, Jacques Martin laissant le dessin à Bob de Moor, puis Gilles Chaillet, Christophe Simon, Francis Carin… Au décès de Jacques Martin, la série va continuer avec des scénaristes et dessinateurs nombreux qui apporteront chacun leur touche personnelle à cette création…

C’est ainsi que cette année, sort le vingt-huitième album de la série, signé François Corteggiani au scénario et Christophe Alvès au dessin, Le principe d’Heisenberg… Et, comme à chaque nouvelle parution de cette série, je suis fidèle au rendez-vous et je lis cet album avec le même enthousiasme…

Cet album se déroule à la fin des années cinquante – c’est du moins ce que je pense car je n’ai pas cru voir l’année précisée – et on y retrouvera, mais dans un rôle un peu effacé, l’inspecteur Renard, ami du journaliste Guy Lefranc qui, lui, travaille toujours pour Le Globe. C’est une affaire d’espionnage où il sera aussi question d’énergie, d’écologie, de science… On est donc bien dans un Lefranc très classique et ce n’est pas du tout pour me déplaire…

On peut noter que le grand méchant de la série, Axel Borg, n’est pas là. Ce personnage a fait son apparition dès le premier album et on le retrouve très régulièrement. Depuis que la série a été reprise, il continue de s’opposer à Guy Lefranc et il leur arrive parfois d’être alliés par circonstances…

L’histoire va se dérouler dans la région de l’Aubrac. C’est dans cet univers naturel que les faits vont avoir lieu : un horrible crime à la hache… Mais Guy Lefranc est alerté par son ami l’inspecteur Renard – qui séjourne dans la région pour ses vacances familiales – sur le fait que les apparences pourraient bien être trompeuses et que ce crime pourrait cacher une affaire d’une toute autre amplitude…

Le lecteur va ainsi plonger dans une bonne vieille et solide histoire d’espionnage qui risque de déstabiliser ceux qui n’ont pas l’habitude du genre tandis que les autres vont se régaler de cette immersion dans une époque où les méchants ne peuvent être que marxistes, communistes et soviétiques ! Derrière tout cela, on va retrouver le fantasme d’une énergie plus propre ou moins sale – à votre convenance – et d’un nucléaire plus acceptable… Il y aura les différentes officines, les lobbies, les journalistes amateurs de scoop et les savants manipulés… Il y aura les apparences et la réalité des faits et… notre super Guy Lefranc toujours prêt à aider et comprendre même s’il ne peut pas écrire tout cela dans ses reportages… On finit même par se demander comment il peut vivre sans jamais écrire pour Le Globe… Non ?

Un bon album, bien construit, dessiné avec rigueur dans l’esprit de la série avec un petit plus car Christophe Alvès ose quelques gros plans, quelques vignettes pleines de dynamisme… C’est la suite de la révolution graphique de cette série où chaque dessinateur fait bouger les choses tout en restant dans les canons de la série… Le mouvement graphique dans l’immobilité apparente en quelque sorte !

Clairement, j’aime et j’assume de rester fidèle à une série qui m’a enchanté durant mon adolescence…
En demi-teinte 5 étoiles

Désormais, le lecteur a la possibilité d’enrichir sa collection de Lefranc et autres épigones d’Alix tous les ans. Quelle résurrection! Alors que Jacques Martin, l’un des auteurs les plus emblématiques de l’âge d’or de la Ligne Claire (ce style de la bande dessinée auquel appartiennent Hergé, Jacobs ou Macher) est désormais mort depuis une petite dizaine d’années, ses héros ne se sont jamais aussi bien portés du point de vue commercial. Parfois, ce succès s’accompagne de ratages mémorables du point de vue “artistique”(L’Ibère ou le Fleuve de Jade par exemple pour Alix, La Momie bleue ou Le Châtiment pour Lefranc…).
Si le Principe d’Heisenberg ne tombe clairement pas dans cette catégorie des échecs patentés, ce n’est cependant pas un album emblématique de la série, il se situe même selon moi en dessous de certaines des dernières reprises de ces dernières années (l’Homme-Oiseau, l’Enfant-Staline,…). En cause, et c’est toujours le critère qui prime selon moi, un scénario qui me semble assez faiblard: l’idée de départ était assez bonne (Les services secrets français tentent d’empêcher la divulgation d’une technologie visant à produire de l’énergie de façon ultra-innovante au bloc de l’Est). La réalisation et les détails ont transformé cette bonne idée en une histoire où les invraisemblances et les raccourcis prennent le pas chez le lecteur sur le plaisir qu’il a à progresser dans l’histoire.
Et pourtant le scénariste n’a pas ménagé sa peine: des longues planches qui détaillent la descente en voiture de Lefranc de Paris dans le centre de la France et qui rappellent furieusement le style Martin aux situations dans lesquelles Lefranc a l’occasion de rompre son légendaire célibat, Cortegianni oscille entre rupture de la tradition martinienne et attachement aux recettes qui ont fait le succès de la série auprès des lecteurs qui sont désormais des vieilles barbes. De gros efforts certes mais malheureusement, cela ne suffit pas à cacher ni la mollesse ni les invraisemblances du scénario: On s’ennuie parfois un peu au milieu de l’album et surtout ce qui est impardonnable à mes yeux des petites facilités sont distillées ça et là (comment le scientifique a été recueilli, la légèreté des gendarmes dans leur enquête,…). Tout ceci gâche un peu le plaisir alors qu’on aurait pu avoir ici une bonne histoire. Dommage… une bonne opportunité manquée…

Vince92 - Zürich - 46 ans - 29 mai 2018