Nos vies
de Marie-Hélène Lafon

critiqué par Alma, le 13 novembre 2017
( - - ans)


La note:  étoiles
Du réel à la fiction
Jeanne, la narratrice, une comptable à la retraite se rend chaque vendredi en milieu de matinée au supermarché . Elle y remarque la caissière Gordana et un nouveau client silencieux, qui « mendie » le regard de Gordana . Celle-ci, tout à sa tâche de caissière, reste impavide . L'atmosphère amollissante du supermarché, avec sa caressante musique de fond, ses odeurs mêlées, ses couleurs douces et multiples, rend Jeanne sentimentale et romanesque .

Depuis toujours, elle aime inventer des histoires . Elle a commencé très jeune avec sa grand-mère qui avait perdu la mémoire, a poursuivi au pensionnat et prolongé silencieusement cette habitude dans le métro, lors des trajets qui la menaient à son travail.
C'est tout naturellement que Gordana et celui qu'elle va prénommer Horacio deviennent les héros d'un nouveau scénario. Happée par des expressions de leurs visages , par des regards, des gestes qui ouvrent des portes à sa créativité, elle se prend à leur créer un passé, une rencontre, la possibilité d'une vie commune . D'abord prudente, elle échafaude des hypothèses « peut-être.... », utilise le conditionnel « elle aurait.... » puis ses suppositions prennent forme et deviennent certitudes, elle emploie alors le présent et finit par donner vie à leur couple .
Elle se reprend parfois , repart en arrière, rectifie, se projette de plus belle .

Son récit saute de l'un à l'autre et s'entremêle avec des passages concernant sa propre vie de femme désormais seule après 18 ans avec Karim, une vie un peu triste . Les trois parcours se tressent les unes aux autres sans logique apparente, plutôt par associations d'idées . La technique narrative de Marie-Hélène Lafon est subtile, parfaitement maîtrisée. L'écriture est superbe, faites de phrases longues qui s'écoulent inlassablement comme les flashes d'un photographe qui multiplierait les clichés pour cerner le mystère de son modèle .

En évoquant dans cet ouvrage la solitude urbaine de héros qui ont cependant des liens avec le monde rural , l'auteur prolonge ses romans antérieurs dont le cadre était le monde paysan et développe sa gamme de personnages aux vies modestes .

L'intérêt majeur de cette dernière publication me semble toutefois résider dans l'évocation du processus de création romanesque, le narrateur montrant comment à partir de quelques éléments du réel, il élabore progressivement sa fiction .
Des vies rêvées 8 étoiles

La narratrice, professeure retraitée, remarque une caissière au Franprix. Cette jeune femme au prénom exotique de Gordana, l'intrigue, la subjugue. Avec un sens de l'observation aiguisé et une imagination formidable, elle invente la vie de Gordana, le parcours qui l'a amenée dans ce quartier de Paris.
Elle repère aussi un client fidèle du supermarché, même jour, même heure, même caisse. Elle saura son nom, et lui créera à lui aussi un parcours de vie.
Elle ne peut pas s'en empêcher ; chaque personne croisée, elle lui invente une situation familiale, un passé.
"à Paris, dans le métro, pendant quarante ans, j'ai happé des visages, des silhouettes de femmes ou d'hommes que je ne reverrais pas, et j'ai brodé, j'ai caracolé en dedans, à fond, mine de rien, ligne six ou ligne quatre, quinze ou vingt minutes aller et retour matin et soir cinq fois par semaine, sans compter le temps des trajets qui n'avaient rien à voir avec le bureau ; pendant quarante ans je me suis enfoncée dans le labyrinthe des vies flairées, humées, nouées, esquissées, comme d'autres eussent crayonné, penchés sur un carnet à spirale."

Mais il y a aussi ses souvenirs personnels qui remontent entre deux rêveries. Son enfance dans l'épicerie familiale, ses 18 ans de vie avec Karim, disparu subitement, ses habitudes avec sa voisine Madame Jaladis.
On aurait tendance à penser que tout ça est bien peu de choses en réalité. Mais l'auteure, outre son écriture fluide et attachante, a l'art d'emmener son lecteur dans une intimité chaleureuse, de narrer des relations humaines empathiques avec une douceur apaisante.
J'avoue avoir eu une préférence pour les confessions, les souvenirs réels de la narratrice, entremêlés aux souvenirs inventés.

Marvic - Normandie - 65 ans - 11 décembre 2017


les vies minuscules de MH Lafon 8 étoiles

MH Lafon est une admiratrice de Pierre Michon et dans son dernier roman il existe une vraie filiation.
Le tissage habile de ces vies prend forme sous nos yeux ravis.
Solitude de la grande ville adoucie par l'amitié de voisinage, chaleur familiale préservée malgré l'éloignement, amour brisé... Dans de longs flash back émouvants MHL raconte la vie paisible des parents, la vie amoureuse ou l'enfance blessée par le handicap.
La langue est belle et fluide.
Juste un petit bémol sur le tic d'écriture de MHL qui nous livre des listes d'adjectifs et une conjugaison à plusieurs temps qui à mon avis alourdissent une écriture par ailleurs magnifique.

Francesca_1 - - 70 ans - 1 décembre 2017