Enchanter les "peut être" - Essai poétique sur le principe d'incertitude
de Maurice Couquiaud

critiqué par Eric Eliès, le 12 novembre 2017
( - 49 ans)


La note:  étoiles
Un plaidoyer pour concilier la science, la spiritualité et la poésie dans l'étonnement et l'émerveillement
Maurice Couquiaud a rassemblé, dans ce petit livre d’une centaine de pages qui se lisent aisément, quelques courts essais et manifestes jusqu’alors éparpillés dans des revues poétiques (Phréatique, Peut-être, etc.), où il manifeste une enthousiasmante volonté de révéler et d'accentuer les convergences entre la poésie, la spiritualité et la science.

La juxtaposition des textes suscite quelques redites mais elle montre aussi la permanence d’une quête de sens dans le décloisonnement des concepts qui obscurcissent le regard que nous portons sur le monde et nous empêchent de nous étonner de sa splendide étrangeté, dont l’harmonie conduit inévitablement à se poser la question de l’existence de Dieu. L’étonnement de l’auteur n’est en aucun cas le doute systématique menaçant de verser dans le nihilisme, dont l’auteur condamne à plusieurs reprises la pensée sèche et pessimiste (exemple cité : Cioran) : il est l’émerveillement de l’homme qui contemple la beauté du monde et se confronte aux mystères de sa complexité ascendante, depuis le big-bang jusqu’à l’émergence de la conscience. Maurice Couquiaud admire, au-delà des scientifiques et des poètes, ceux qui ont élaboré une approche holistique de l’humanité et du monde et ont tenté – parfois ont réussi - une synthèse des disciplines scientifiques en leur insufflant une sensibilité artistique ou une portée spirituelle. Ainsi sont fréquemment cités Teilhard de Chardin, Gaston Bachelard, Gérard Murail (qui fut le fondateur de la revue Phréatique), Etienne Klein, Jean-Pierre Luminet (scientifique et poète - j’ai présenté un de ses recueils sur CL), Hubert Reeves, Basarab Nicolescu, etc. Mais aussi des poètes comme le poète roumain Lucian Blaga, trop méconnu en France.

La « trans-diciplinarité » et l’étonnement sont des thèmes récurrents, quasi-obsessionnels, qui semblent hanter l’auteur depuis sa prime jeunesse, quand il était encore collégien. D'ailleurs, Maurice Couquiaud semble avoir conservé l’enthousiasme un peu naïf de la jeunesse quand il se laisse grisé par l’étrange beauté des mots et des concepts de la physique quantique (« principe d’incertitude », « dualité onde / corpuscule », etc.) et de la relativité générale, qu’il mentionne pour la beauté intrinsèque du mystère qu’ils révèlent mais sans jamais les expliciter vraiment et parfois en les utilisant hors de propos. Par exemple, s’exprimant comme s’il ne maîtrisait pas totalement la notion d’intrication quantique, il évoque à plusieurs reprises, sans les nommer et avec des approximations grossières, les expériences d’Alain Aspect. C’est l’une des grandes faiblesses de l’ouvrage : l’auteur se contente d’esquisser les contours des notions scientifiques qu’il évoque en des termes si vagues (quelques noms et quelques mots de vocabulaire spécifique) que les textes prennent parfois un ton de dissertation scolaire, comme quand un lycéen qui a révisé sa philosophie répond au sujet du baccalauréat en prenant soin de saupoudrer son texte de quelques citations choisies qui se plient à tous les sujets… Ainsi, Maurice Couquiaud parvient, dans un texte de conférence, à utiliser ses prémisses pour faire l’apologie de l’union européenne en tant que berceau d’une renaissance spirituelle. C’est bien sûr parfaitement louable mais l’enchaînement est d’une grande artificialité, que seule permet l’imprécision d’idées suffisamment floues pour se prêter à toutes les digressions.

Néanmoins, j'ai apprécié que Maurice Couquiaud insiste avec force sur la nécessité de l'approche transdisciplinaire et dénonce l'invalidité de réflexions philosophiques sur le temps ou sur la condition humaine qui ignoreraient les découvertes de la science (la relativité du temps, l'évolution des espèces, etc.) qui sont désormais des acquis de la connaissance. Par ailleurs, il faut souligner que la présentation des concepts scientifiques, même si elle est souvent laconique ou biaisée, est pleine de ferveur. La grande différence entre le lycéen évoqué plus haut et l'auteur réside en ce que Maurice Couquiaud choisit ses références d’après ses rencontres. Ainsi, il rapporte beaucoup de propos entendus à l’occasion de réunions, de colloques ou de discussions avec des personnalités reconnues comme Hubert Reeves, Edgar Morin, Bernard d’Espagnat, Jean-Pierre Luminet, Michel Cassé, etc. Même si la façon dont l’auteur décrit ses liens d’amitié avec ces personnalités confère aux textes un accent parfois maladroitement prétentieux, comme si l’auteur cherchait à étaler ses fréquentations, on ressent une passion nourrie d'échanges et d'instants vécus qui vient compenser une réflexion un peu superficielle, comme si l’auteur se satisfaisait trop aisément d’être étonné, sans chercher à approfondir davantage les difficultés des problèmes posés par les théories scientifiques ou les subtilités de notre rapport au monde et au langage.

La pensée de Maurice Couquiaud, telle qu’elle est développée dans ces courts essais, est ainsi très loin d’avoir la densité de celle d’Yves Bonnefoy (cité à plusieurs reprises dans les essais), qui avait consacré quelques années de sa vie à l’étude des mathématiques (auxquelles il rend un hommage appuyé dans le poème « Dévotion »). En fait, au-delà de ses rencontres, les seules lectures dont les arguments sont vraiment développés par l’auteur sont issues des œuvres de Teilhard de Chardin et de Vladimir Jankélévitch, qui suscitent des réflexions intéressantes sur la complexité de l’univers, sur notre rapport au monde, sur le Tout et le Néant, sur le « je-ne-sais-quoi » et le « presque-rien ». Mais il est très dommage que l’auteur ne fasse nullement référence à Stéphane Lupasco (qui fut le premier philosophe à véritablement tenter d’intégrer dans le raisonnement philosophique des catégories logiques nouvelles issues des « peut-être » de la mécanique quantique), à Michel Serres (le philosophe des sciences qui a le plus œuvré, avec une sensibilité littéraire et poétique, à ouvrir des chemins entre les sciences fondamentales et les sciences humaines), à Ilya Prigogine (prix Nobel de chimie qui a réfléchi aux implications ontologiques de ses travaux sur la complexité et le chaos) et aux grands théoriciens de la physique quantique, qui ont tous profondément réfléchi sur la portée philosophique des concepts de la théorie (cf Heisenberg, Schrödinger, etc.). Idem pour les poètes de l’étonnement et de l’émerveillement qui ont tenté une œuvre syncrétique tentant d’embrasser, dans un souffle à la fois poétique, spirituel et scientifique, toutes les potentialités de l’esprit humain. Je pense notamment à Saint Pol Roux, dont l’œuvre poétique développe une mystique de l’homme et de l’univers qui assumait les conséquences des grandes théories scientifiques.

En fait, il est probable que la synthèse de la poésie et de la science soit plus facile à réaliser par un scientifique. Des physiciens comme Jean-Pierre Luminet et Etienne Klein (pour les plus connus mais on pourrait aussi citer Ion Barbu, mathématicien roumain qui fut également un grand poète) ont un rapport au langage qui nourrit leur sensibilité poétique bien plus aisément que la sensibilité poétique de Maurice Couquiaud peut être irriguée par ses connaissances scientifiques, qui m’ont semblé (peut-être à tort ?) assez sommaires. Par ailleurs, cette recherche d’assimilation des théories scientifiques impose à la poésie de Maurice Couquiaud les contraintes d’une poésie discursive, porteuse d’un discours sur l’humanité et non d’un rapport au monde intime et personnel nourri d'interrogations sur le langage. Maurice Couquiaud assume explicitement d’être à contre-courant de l’avant-garde, dont il se défie, lui reprochant des jeux d’écriture stériles et incapables de véhiculer une émotion chez le lecteur. Cette critique n’est pas infondée mais la poésie de Maurice Couquiaud, qui donne à lire quelques extraits de ses recueils, m’apparaît comme très datée. Elle s’inscrit dans le courant, aujourd’hui presque tari, de l’épopée philosophique. Ainsi, l’auteur évoque qu’il a écrit autrefois un long poème de 40 pages décrivant le parcours depuis le Big Bang jusqu’à la victoire de l’esprit dans la noosphère finale envisagée par Teilhard. . Sans toutefois avoir le souffle grandiose de Victor Hugo dans « Ce qui dit la bouche d’ombre », cette poésie se lit aisément et avec plaisir.

Malgré tous ses défauts, parfois un peu irritants à la lecture, ce livre est enthousiasmant et stimulant. Il porte bien son titre : il affirme et ne cesse de répéter la nécessité de s’émerveiller face au miracle de l’existence du vivant et de la beauté du cosmos. Mais c’est la première fois que, en tant que lecteur, je referme un livre avec l’envie de me l’approprier pour le ré-écrire ! Ce livre m'a aussi appris l'existence à Paris de centres d'études transdisciplinaires, mêlant des poètes, des philosophes et des chercheurs en sciences dites "dures" de diverses nationalités. J'ai songé à la communauté des intellectuels qu'Einstein, dans un monde en guerre, appelait de ses vœux pour surmonter les clivages entre les peuples...