La part d'ange en nous
de Steven Pinker

critiqué par Lettres it be, le 10 novembre 2017
( - 29 ans)


La note:  étoiles
La part d'ange en nous de Steven Pinker : vous avez dit violence ?
L’époque que nous traversons, celle du 11 septembre, des attentats du Bataclan, du meurtre des Rohingyas est assurément l’époque la moins violente de l’Histoire. C’est de ce postulat que va partir Steven Pinker dans son dernier livre¸ La part d’ange en nous publié aux éditions Les Arènes (un grand merci en passant). Subversif, provocateur vous avez dit ? Que nenni ! Une idée de départ qui, plutôt, interroge et suscite l’intérêt. De là, l’auteur canadien va s’échiner à développer sa thèse et la décliner sous tous les plans, de la psychologie à l’Histoire en passant par la sociologie et l’étude des mœurs. C’est solide, massif, dissuasif sur la forme mais terriblement riche et érudit sur le fond.

Steven Pinker est titulaire d’un doctorat en psychologie expérimentale obtenu à Harvard à la fin de ses études. Il a ensuite été nommé professeur au sein du département de science cognitives et cerveau au sein du Massachusetts Institute of Technology pendant plus de 21 ans avant de revenir à Harvard dès 2003. Aujourd’hui, le voilà endosser ses différentes casquettes de psychologue, de linguiste, de philosophe et d’écrivain pour livrer de fabuleux ouvrages. Après L’instinct du langage, Comment fonctionne l’esprit et Comprendre la nature humaine (finaliste du prix Pulitzer), Pinker fait son grand retour avec La part d’ange en nous.

Une somme de 1040 pages, toutes aussi brillantes les unes que les autres malgré quelques courtes latences çà et là. Ce livre qui a fait sensation de l’autre côté de l’Atlantique arrive joliment apprêté de sa traduction française. De plus, le titre n’est pas sans rappeler la célèbre « part des anges », ces volutes de whisky qui s’évapore dès l’ouverture du tonneau. Peut-être là une métaphore bien sentie ?
À l'échelle de l'humanité, notre monde ne va pas si mal 10 étoiles

Lorsqu'on lit la presse quotidienne régionale ou nationale, la presse mensuelle portant plus sur du journalisme d'enquête et de fond, lorsqu'on écoute la radio, lorsqu'on regarde le journal télévisé, a-t-on généralement l'impression que le monde dans son ensemble va vers le mieux ? Clairement non. Quand on écoute des gens des générations plus anciennes que la nôtre, le constat est le même. Le bon vieux temps n'est plus ce qui l'était. Particulièrement au sujet de l'agressivité, de la violence, des risques d'enlèvements ou de terrorisme, voir de troisième guerre mondiale, d'utilisation d'armes nucléaires, etc.. Bref, tout ça n'est pas très gai, et m'a même personnellement conduit à arrêter ou modérer considérablement ma consommation de ce type de médias.
Mais finalement, toutes ces personnes, intellectuel·les, journalistes, universitaires médiatiques, citoyen·nes, retraité·es, mères et pères de famille, toutes ces personnes ont-elles raison dans leur constat ? Dans cet ouvrage, Steven Pinker répond précisément à cette question, en la recadrant un peu pour être sûr de pouvoir y répondre de manière factuelle.
Déjà, quand on se demande si le monde va mal, est plus violent, il faut préciser sur quelle échelle de temps on se situe. C'est le premier piège. À l'échelle d'une vie d'être humain, versus à l'échelle de l'humanité, la réponse est différente selon les époques.
Ensuite, il faut se questionner sur ce que l'on cherche précisément à investiguer. S'intéresse-t-on à la violence, aux inégalités hommes-femmes, à la souffrance des animaux non-humains, aux inégalités économiques, à la pauvreté, etc. ? Il sera difficile de répondre de manière générale pour tous ces paramètres sans les regarder de manière analytique.
Enfin, il faut savoir sur quels indicateurs se baser, et tenter de choisir les moins biaisés. Par exemple, si on se fie seulement aux anecdotes personnelles, aux fait divers lus dans les journaux que l'on a eu sous les yeux, notre analyse risque d'être fort biaisée. Qui plus est, comme l'explique très bien Steven Pinker, que nous sommes toutes et tous biaisés intellectuellement : nous avons tendance à plus nous rappeler des choses dramatiques que des choses banales ou positives.

Dans nos discussions quotidiennes avec nos proches, dans les médias, ce travail de "débroussaillage" est rarement fait, y compris par des universitaires, souvent non spécialistes du sujet en question, auxquel·les on demande d'exprimer leur point de vue. C'est tout l'enjeu de cet ouvrage passionnant et dense de Steven Pinker : non seulement évaluer comment la violence à évoluer à l'échelle de l'humanité, mais surtout, expliquer très clairement comment on s'y prend pour évaluer cela. En exposant les méthodes employées, on pourra ainsi les critiquer et les améliorer. À de nombreuses reprise, Steven Pinker met en garde ses lectrices et lecteurs : il est très difficile pour le cerveau humain d'entendre qu'à l'échelle de l'humanité, notre monde est moins violent. L'auteur explicite pourquoi cette information, pourtant éminemment positive, est difficile à entendre.

Un livre qui fait clairement du bien au moral, autant dans le fond que de la forme.

Elya - Savoie - 34 ans - 28 février 2019