Les anges ne reviendront pas
de Firouz Nadji-Ghazvini

critiqué par Débézed, le 5 novembre 2017
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Ils ont tué les poètes
Firouz Nadji-Ghazvini a quitté l’Iran en 1985, déjà au temps du shah il était inquiété par la censure. Il n’était pas à proprement parler impliqué dans la vie politique du pays mais il dénonçait les atteintes aux droits de l’homme et les injustices. Il a écrit ce livre en 2002, mais il en situe l’action au moment où tout va basculer, où tout vacille déjà. « On ne regrette pas l’ancien régime. Mais on ne se réjouit pas de celui à venir. Quelque chose … est en train de se perdre ».

Il raconte comment un jeune écrivain, poète comme lui, traverse cette période avec les deux filles qu’il aime, celle qui est devenue sa femme, la femme pragmatique qui se, et le, protège de tous les dangers, la femme qu’il a toujours aimée mais avec laquelle il n’a jamais eu la moindre aventure, celle qui a fui le pays, et son ami dont il se rend compte qu’il n’est pas très clair, qu’il intrigue dans des milieux où la violence remplace la loi. Il s’intéresse peu aux événements, il vit dans son univers de poésie, il déplore qu’un monde soit en train de disparaître faute de n’avoir pas su, et de ne pas savoir encore, éduquer les foules. « Au temps du shah, on a fait beaucoup pour développer ce pays mais on a raté l’essentiel : l’éducation politique. Et ce qui permettra aux mollahs de prendre le pouvoir. Eux, l’éducation, ils s’en moquent. Ils jouent sur les sentiments populaires ».

Il décrit un spectacle macabre, joué réellement sur scène, qui pourrait être une métaphore de ce qu’est devenue la révolution qui a chassé le shah : une manipulation des foules les rendant hystériques et meurtrières, leur faisant croire que le dogme et la théorie sont plus importants que les êtres. « Qu’importe, clame-t-il, qu’un cœur se brise, que du sang coule ou qu’une ville brûle ! Seule importe la vérité des idées. Le monde est un enfer qui se consume lentement pour nous réduire en cendres ». Les fidèles gavés du message religieux n’ont plus la même perception du monde, du bien et de mal, que ceux qui, comme le narrateur, restent à l’écart des discours incendiaires. « Mais Ismaïl ne voit pas la même scène que moi. Dans son rêve musulman, Niloufar et Mithra sont démesurément nues ».
La pièce a été jouée, la foule a anéanti les acteurs comme le peuple révolté a détruit tous les pouvoirs et Mithra l’épouse fidèle et lucide s’interroge : « … elle se préoccupe surtout des spectateurs. Pourquoi ont-ils été trompés ? N’importe quel metteur en scène peut donc les leurrer ? Même un médiocre ! Surtout un médiocre ! Il suffit de jouer les Pol Pot pour faire jaillir la méchanceté pure de la nature profonde des spectateurs ? Comment font-ils pour cacher en eux tant de violence ? »

Un texte empreint de la poésie orientale issue de l’ancienne Perse qui dénonce, à travers une suite de petites scènes en forme de métaphores et d’ellipses, la destruction de la culture ancienne par la dictature religieuse et les douleurs infligées à tout un peuple par ceux qui ont confisqué le pouvoir.