La traversée du dimanche
de Boris Schreiber

critiqué par Henri Cachia, le 4 novembre 2017
(LILLE - 62 ans)


La note:  étoiles
Une névrose obsessionnelle comme si vous y étiez
Une névrose obsessionnelle comme si vous y étiez (publication originale1987, Prix Sainte Beuve))

Béator se répète inlassablement qu'il doit rendre visite à sa mère qui vit en maison de retraite, ce dimanche, particulièrement parce que c'est son anniversaire. Mais que de circonvolutions pour se persuader qu'il ne peut le faire parce que... parce que quoi au fait. Il trouvera de nombreuses raisons qui font que ce n'est pas possible et d'autres qui l'obligent à y aller. Se coincer en permanence. Impossible de faire et de ne pas faire.
Alors, il lui faut s'inventer une vie acceptable aux yeux de sa mère aimante (croit-il), une femme, des enfants et une réussite professionnelle, avec le matériel qui va avec.
Et puis il y a son petit chez soi et son petit travail de bureau, qu'il considère comme une réussite sociale. Mais de ça aussi, il n'en est pas sûr.

Mieux vaut un long extrait : (on ne résume pas l'écriture de Boris Schreiber)

« ...Reste le problème principal : pourquoi étions-nous réveillé de si bonne heure ? Un tourment particulier ? Pas à notre connaissance. Une joie particulière ? Non plus. Ce réveil provenait-il d’une insomnie, tout simplement ? Même pas. Grâce à Dieu, nous avons réussi à vaincre notre insomnie depuis longtemps par un dosage complexe de gouttes et de pilules. Les cas où ce dosage s’avère inefficace sont exceptionnels. Aussi est-ce vers l’exception qu’il nous faut chercher. Et nous cherchons. Que peut-il y avoir de particulier en ce jour où l’aube semble molle et lente ? La réponse qui nous vient ne nous satisfait guère : aujourd’hui est un dimanche. Et nous ne sommes pas de ceux qui font profession de mépriser les dimanches sous prétexte qu’ils sont vides, ou mal remplis, ou indigestes. Non. Jadis, peut-être étions-nous également influencé par ces prétextes fallacieux ; nous traitions les dimanches avec dédain. À la longue, nous avons fini par comprendre que cette attitude nous causait plus de tort à nous qu’au dimanche. Car les dimanches passent, mais le cafard reste. Une journée toute de ressassement morose, d’heures décolorées, de regard sur les rues atones, ne permet guère d’aborder la semaine en position de force. Et nous avons appris à nos dépens qu’une position de force est indispensable si l’on veut vaincre dans la lutte pour la vie. Vaincre. Ne pas couler. Nous croyons que ne pas couler est déjà une sorte de victoire. C’est pourquoi nous avons tout fait pour que le dimanche devienne un allié : nous lui sourions, nous arpentons joyeusement notre chambre, nous allons nous promener dans les jardins publics ou dans les squares, sans éprouver le moindre dégoût à la vue des familles qui se traînent et bavotent les prénoms de leurs enfants chéris... »