Sérum
de Cyril Pedrosa (Scénario), Nicolas Gaignard (Dessin)

critiqué par Shelton, le 23 octobre 2017
(Chalon-sur-Saône - 67 ans)


La note:  étoiles
Etrange, triste et sombre...
Nous sommes à Paris en 2050 et j’avoue que les premières planches de cette bande dessinée de Pedrosa et Gaignard ne sont pas simples à dépasser… On a un peu de mal à comprendre, à entrer dans l’histoire… Pourtant, au bout de ces planches, il y a bien une histoire de politique fiction et un personnage dont on a envie de découvrir l’histoire…

On comprend alors que le pays a quitté l’Europe, qu’une dictature s’est mise en place en France et qu’elle exerce de très grosses pressions sur la population. Pour s’assurer un avenir brillant, si on peut dire, le pouvoir a décidé d’utiliser un sérum de vérité. Quand on a eu une injection, quand on en a bu avec l’eau potable, on ne peut plus mentir, on dit la vérité, toujours la vérité, rien que la vérité… et la vie devient alors pour la victime de ce sérum, un enfer ! Attention, ce n’est pas l’éloge du mensonge mais cela montre bien la difficulté si on ne peut rien dissimuler… Papa, il est beau mon dessin… Non, il est moche comme tout !

Notre personnage central, Kader, ne dit que la vérité… A sa fille, bien sûr, mais aussi à son patron, à ses collègues, à la police…

Voilà pour ce que l’on peut dire de l’histoire sans casser la construction scénaristique. Ce monde pas si éloigné du notre est d’une tristesse absolue, d’une noirceur incroyable et la narration graphique est parfaitement réussie et va immerger le lecteur dans cet univers sans aucune précaution. Le scénariste pousse les choses très loin et les informations transmises au lecteur dans la première moitié de l’album sont peu nombreuses ce qui accentue la tristesse, le fatalisme, la victimisation de Kader…

Nicolas Gaignard signe là son premier album complet et avouons que pour une première on ne lui pas donné le plus simple à construire graphiquement. Le fait qu’il s’en sorte bien est plutôt signe d’un talent certain qui devrait se confirmer très prochainement avec d’autres histoires…

Pour ce qui est du scénario, j’avoue que je suis un peu dubitatif… Cyril Pedrosa a peut-être voulu trop en faire, aller trop vers une société de la manipulation et de la domination en manquant, qui sait, d’un peu d’originalité. On sent les références solides dont ; bien sûr, le fameux 1984 de George Orwell qu’il faut régulièrement relire… certains ont aussi pensé à la série bédé SOS Bonheur mais si les points communs peuvent exister le sentiment du lecteur que je suis est très différent car je trouve Sérum plus austère, plus triste, plus noir…

La seconde partie de la bande dessinée est beaucoup plus dense car elle va tenter de répondre à beaucoup de questions que le lecteur se pose, plutôt de façon efficace en laissant quelques zones d’ombre pour que nous puissions participer à l’élaboration finale de cette histoire… Et j’avoue que cet aspect m’a bien plu… Je n’aime pas quand on me mâche trop les choses, quand on m’enferme dans une histoire sans me demander mon avis…

Donc une bonne bande dessinée de science-fiction plutôt accessible aux adultes et qui présente un univers rude qui peut déplaire à certains…

Quant à nous, c’est le dessinateur que nous allons rencontrer au festival Quai des bulles, à Saint Malo, dans quelques jours… belle rencontre en perspective et j’ai hâte de savoir comment il a travaillé pour ne pas déprimer au fur et à mesure de ses dessins…
Dériver loin des rives sécuritaires 7 étoiles

Une fois n’est pas coutume, Cyril Pedrosa a posé ses pinceaux pour ne s’occuper que du scénario. Il nous propose ici un récit d’anticipation politique mis en images par Nicolas Gaignard, dont c’est le premier album. L’histoire débute de façon énigmatique, avec un dialogue entre deux êtres dont on ne sait rien, si ce n’est que l’un évoque un événement grave aux conséquences irrémédiables, en décalage total avec des plans fixes se succédant, laissant voir un Paris nocturne et désert, avec seulement quelques indices pour montrer que l’action se situe dans le futur. Peu à peu, le contexte se dessine, mais ce n’est qu’avec parcimonie que les auteurs nous livrent au fil des pages les pièces de ce puzzle narratif. On finira par saisir alors toute l’ignominie odieuse et tragique dont est frappé Kader, le héros de l’histoire, qui, telle une souris piégée dans un labyrinthe, est contraint de dire la vérité grâce à la « zanédrine » qu’on lui a injecté dans l’organisme.

La France qui est dépeinte ici est une extrapolation inquiétante de celle de 2018, où la surenchère médiatique semble avoir conduit les citoyens, craignant les attentats, à accepter la mise en place d’un régime autoritaire. Les attentats contre Charlie et le Bataclan sont passés par là, et ce one-shot est un avatar révélateur du climat actuel, où journalistes et politiciens jouent avec plus ou moins de cynisme la comédie du parler-vrai.

Le dessin de Nicolas Gaignard traduit parfaitement l’atmosphère anxiogène imprégnant le récit, qui rappelle beaucoup le « 1984 » de George Orwell. On pense également à « Bladerunner », notamment pour certains des gadgets high-tech qui parfois semblent faire partie intégrante de l’organisme humain. Les décors nus et les couleurs froides font le reste, de même que l’inexpressivité des visages qui renforce l’absence d’humanité du contexte.

« Sérum » est un thriller d’anticipation lent, parcouru par de rares scènes d’action, qui s’envisage plus comme un outil de réflexion politique, très fin au demeurant, que comme un inoffensif objet adrénalitique. Ce one-shot est in fine assez fascinant et ne manque pas d’intérêt, tans s’en faut, mais il est néanmoins dommage que les tenants et les aboutissants n’apparaissent pas toujours clairement au terme de l’histoire, même si une seconde lecture permet d’éclaircir certains points.

Blue Boy - Saint-Denis - - ans - 31 mars 2018