Lila
de Marilynne Robinson

critiqué par Myrco, le 27 janvier 2018
(village de l'Orne - 74 ans)


La note:  étoiles
Une lecture rare et bienfaisante
Marilynne Robinson: ce nom ne vous dit peut-être rien et pourtant... Appréciée et d'ailleurs interviewée par Obama qui avait fait de son "Gilead" un de ses livres de chevet, cette auteure, bien que peu prolixe en tant que romancière, a néanmoins cumulé des prix prestigieux (*). Cela faisait déjà un moment que l'idée me titillait d'aborder son œuvre et que j'hésitais entre curiosité et circonspection, sachant que les questions de foi religieuse sont au centre de sa réflexion et pour le moins très éloignées de moi compte tenu de mes convictions.
Je ne peux que me réjouir d'être passée outre mes réticences. "Lila" s'avère en effet un livre rare, tout en profondeur, pudeur et délicatesse, qui tranche avec la production contemporaine. C'est un livre qui sourd d'humanité et laisse en nous un sillage de douceur, de bienveillance, sans pour autant occulter la noirceur des réalités de ce monde.

C'est une histoire de misère et de grâce, une histoire de rencontre improbable entre deux êtres que tout sépare a priori sauf la solitude, une histoire intemporelle bien que située au milieu du siècle dernier.
Lila, une femme encore jeune mais usée, échoue dans une petite bourgade de l'Iowa après une vie de vicissitudes et va croiser le Révérend John Ames très respecté par sa communauté dévouée à ce veuf septuagénaire (ou presque) qui autrefois perdit sa jeune femme en couches ainsi que son enfant.
Née aux environs du début des années 20, dans un milieu sordide, elle serait probablement morte de mauvais traitements si elle n'avait été soustraite à sa famille par celle qu'elle ne connaîtra jamais que sous le nom de Doll. Dès lors, elle mène avec elle une vie rude de vagabondage au sein d'une petite troupe de saisonniers agricoles sans autre abri le plus souvent que la voûte des cieux. Dans cette errance qui ressemble à une fuite de bête traquée, n'ont pourtant manqué ni les rires ni la tendre protection de Doll. Viendront des années plus misérables encore: le krach de 1929, la Grande Dépression, les tempêtes de poussière des années 30 ...Lila n'aura connu dans ce parcours qu'une seule expérience de "vie normale", l'année où sa protectrice a marqué une pause afin que la petite puisse apprendre à lire et écrire. Plus tard lorsque Doll rattrapée par son passé, par la violence, ne sera plus là, Lila trouvera refuge à Saint Louis dans une maison close...

Tout ce passé va nous être révélé par bribes tout au long du roman, sans chronologie aucune, au fur et à mesure que le présent fait surgir ses souvenirs, ses questionnements, ses fantasmes, mais de manière si naturelle que cela ne pose au lecteur aucun problème d'appréhension. Bien que le récit soit à la troisième personne, les choses nous sont souvent racontées à hauteur de la perception de Lila. Robinson nous immerge totalement dans l'intériorité du personnage nous faisant partager ses monologues avec elle-même ou plus tard avec son enfant en gestation.

Si sa vie menée jusque là l'a faite ignorante des codes, des mots, et de dieu, Lila n'en interroge pas moins de façon pertinente le sens de l'existence: "ces temps-ci, j'ai commencé à me demander pourquoi les choses se passent comme elles se passent". Un dialogue d'abord timide s'engage avec l'homme de foi. Lui, rempli de mansuétude , de tolérance et de respect va être poussé à chercher des explications, des réponses aux questions de Lila, sans toujours les trouver, à approfondir ses convictions. Elle, petit animal sauvage et fier, perpétuellement sur la défensive, traînant la honte de sa condition, qui voudrait se sentir "pure et acceptable", va peu à peu se laisser apprivoiser et s'installer dans une relation de confiance et de tendresse.

"Magnifique variation sur l'amour " nous dit la quatrième de couverture. En effet, sur l'amour maternel d'abord, de cette mère de substitution qui aura donné à l'enfant tout ce qu'elle était en mesure de donner, sur l'amour de Lila en retour qui vivra pour faire ce que Doll aurait voulu pour elle, enfin sur ce sentiment profond, réciproque, entre elle et le pasteur, fondé sur le bonheur si simple et précieux de la présence de l'autre, de quelqu'un à aimer.

Marilynne Robinson ne sombre à aucun moment dans un prosélytisme rigide et austère. Elle fait dire à son personnage: " les croyants ne sont ni meilleurs, ni pires que les autres ". On sort de cette lecture le cœur plus ouvert, avec l'envie de devenir meilleur.
Un moment de grâce aussi pour le lecteur, un moment magique que j'aurais voulu prolonger.

A noter que ce roman est considéré comme le dernier volet d'une trilogie après "Gilead" et "Home". Si tous trois se déroulent dans le même environnement, si les mêmes personnages apparaissent, le focus change de telle sorte qu'il n'est en rien nécessaire d'avoir lu les deux précédents, d'autant que le personnage de Lila n'y faisait qu'une apparition très discrète.

(*)Prix Pulitzer en 2005 pour "Gilead", Orange Prize en 2009 pour "Home", deux fois nominée en 2011 et 2013 pour le Man Booker International Prize et enfin National Book Critics Award pour "Lila" en 2014.