"Manuel de civilité" suivi de "Pybrac" de Pierre Louÿs

"Manuel de civilité" suivi de "Pybrac" de Pierre Louÿs

Catégorie(s) : Littérature => Francophone , Théâtre et Poésie => Poésie

Critiqué par Eric83, le 15 octobre 2017 (Inscrit le 28 août 2016, 49 ans)
La note : 9 étoiles
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Un chef d'oeuvre d'humour parodique, élégamment pornographique et subtilement trash

Pierre Louÿs est pour moi l’écrivain le plus étrange et le plus fascinant, parce qu’excessif en tout, de la littérature française. Il fut, à la fin du 19ème siècle, un auteur adulé pour son roman « Aphrodite » et ses poèmes en prose « Les chansons de Bilitis », qui étaient doublés d’une mystification pour se moquer des doctes savants hellénistes. Il commit aussi deux romans singuliers « Les aventures du roi Pausole », sorte d’épopée pleine d’ironie narrant les aventures d’un roi philosophe et hédoniste mélangeant Don Quichotte et Casanova, et « La femme et le pantin », qui est le récit d’une passion dévorante rongée par la jalousie…

Cette œuvre romanesque se double de plusieurs recueils de poèmes, qui oscillent entre l’inspiration la plus élevée (il est l’auteur de très beaux poèmes d’amour, notamment celui intitulé : « Pervigilium Mortis ») et l’érotisme le plus débridé… En effet, Pierre Louÿs, qui fut l’ami de Stéphane Mallarmé et aida Oscar Wilde, Paul Valéry et André Gide à faire leurs premiers pas en littérature, était un obsédé sexuel, habitué des bordels et écrivant, pour son plaisir et celui de quelques amis choisis, des poèmes totalement déjantés voire franchement pornographiques, où se manifestent son ironie caustique et son esprit libertaire. Ces textes, retrouvés dans des cartons après sa mort, n’étaient pas destinés à être publiés (notamment le célèbre « Trois filles de leur mère » qui raconte les aventures orgiaques d’une famille inspirée de celle du poète José Maria de Hérédia, dont il avait épousé l’une des trois filles !) mais, heureusement, ils ne furent pas perdus.

C'est le cas des deux textes intitulés « Manuel de civilité » (dont le titre complet est « Manuel de civilité pour les petites filles à l’usage des maisons d'éducation » !) et « Pybrac », regroupés dans cette édition de poche, qui parodient avec une obscène férocité les livres d’éducation et d’enseignement des bonnes mœurs, en prenant appui sur les préceptes usuels pour mieux les dévoyer. Tout en étant parfaitement explicites, avec des connotations pornographiques parfois subtiles parfois choquantes (prostitution, exhibitionnisme, scatologie, zoophilie, inceste, pédophilie, etc.), ils sont aussi, souvent, franchement hilarants pour qui est réceptif à ce genre d'humour. La radicalité et la franchise de Pierre Louÿs peuvent sembler étonnantes pour l'époque mais c'est sans doute la nôtre qui est en fait devenue accroc au "politiquement correct". Je vous recopie ci-dessous quelques extraits tirés de divers chapitres du « Manuel de civilité », caractéristiques du style de l'ouvrage (en espérant ne pas m'attirer les foudres de la modération !) :

A l’office : Quand vous vous êtes servie d’une banane pour vous amuser toute seule ou pour faire jouir la femme de chambre, ne la remettez pas dans la jatte sans l’avoir soigneusement essuyée.

Cadeaux : N’offrez jamais de godemiché à une femme mariée à moins qu’elle ne vous ait fait elle-même la confidence de ses infortunes.

Superstitions : Si vous êtes treize à faire l’amour sur le même lit, n’envoyez pas votre plus jeune amie se branler toute seule à la petite table. Faîtes plutôt monter la fille de la concierge pour faire quatorzième.

A confesse : quand vous racontez toutes vos cochonneries au jeune prêtre qui vous écoute, ne lui demandez pas si ça le fait bander.

En visite : Dites « bonjour, madame, comment allez-vous ? » mais ne demandez jamais à une femme mariée « vous a-t-on bien baisée cette nuit ? ». Vous la mettriez dans l’embarras parce que le plus souvent elle n’aurait rien à dire.

A l’hôtel en voyage : Ne sonnez pas le maître d’hôtel à onze heures du soir pour lui demander une banane. A cette heure-là, demandez une bougie.

Devoirs envers Dieu : avant d’aller communier, si vous sucez quelqu’un, n’avalez pas le foutre, vous ne seriez plus à jeun.

« Pybrac », quant à lui, pastiche un livre de quatrains écrit en 1574, par le juriste Guy du Faur de Pibrac pour l’éducation des jeunes gens. L’original fut célèbre en son temps et très largement diffusé. Les poèmes de Pierre Louÿs, en alexandrins rimés, commencent tous par « je n’aime pas à voir » pour imiter l’allure d’une condamnation morale mais ils sont si explicites qu’ils composent en fait des sortes de miniatures obscènes. Tout l’art de Pierre Louÿs réside dans sa capacité à les renouveler (il y en a près de 250), souvent avec humour même si on peut déplorer une volonté outrancière de choquer son lecteur (Pierre Louÿs n'a aucun tabou, y compris sur la prostitution et la scatologie) et une fascination pour les toutes jeunes filles qui a des accents explicites de franche pédophilie...
Je vous en recopie quelques-uns ci-dessous, choisis parmi les plus "convenables" :

Je n’aime pas la vierge aux prunelles d’opale / Qui branle son cousin parce qu’il bande trop / Et qui crie en voyant jaillir le foutre pâle / « Ca m’excite un garçon qui pisse du sirop. »

Je n’aime pas à voir une blonde ingénue / Qui me laisse palper sa vulve dans un coin / Manie avec plaisir ma verge toute nue / La branle dans ses poils et me dit « pas plus loin »

Je n’aime pas qu’Esther dont les lèvres avides / Ont tété sept fois un ténor d’opéra / Lui dise avec fureur que ses couilles sont vides, / Mais qu’elle a soif de foutre et qu’il en pissera

Je n’aime pas à voir une vierge qui tangue / Et qui, touchant du con le vit de son danseur / Soupire « oh non pas ça ! Je n’aime que la langue. / Si vous voulez saillir faites signe à ma sœur. »

Je n’aime pas à voir qu’Alice aux longues tresses / Lèche à la pension tous les cons du dortoir / Sous les yeux indulgents des jeunes sous-maîtresses / Qui donnent des conseils et tiennent le bougeoir

Je n’aime pas à voir ces jeunes filles suisses / Qui si quelqu’un leur dit : « Ou est donc le buffet ? » / Répondent simplement : « Il est entre mes cuisses » / Ce sont là des propos qui font mauvais effet

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Les éditions

  • "Manuel de civilité" suivi de "Pybrac"
    de Louÿs, Pierre
    Eurédif / Aphrodite Classique
    ISBN : SANS000051924 ; 01/01/1975 ; 160 p.
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