Récits du treizième mois - oeuvres de fiction complètes
de Bruno Schulz

critiqué par Henri Cachia, le 14 octobre 2017
(LILLE - 62 ans)


La note:  étoiles
Enfin une traduction à la hauteur du talent de Bruno Schulz
Vous dites tous que je rends le monde étrange. Pas du tout. Le monde est étrange. C'est incontestable. Et c'est ça que je veux exprimer, tout simplement. B.S.

Dans cet ouvrage intitulé "RECITS DU TREIZIEME MOIS" sont réunies les oeuvres de fiction complètes de Bruno Schulz : "Les boutiques de cannelle", "Le sanatorium du repos éternel", "La république des rêves", "La patrie", et "La comète". Dans une excellente traduction d'Alain Van Crugten, commandée en 2014 par les Editions L'Age d'Homme. Qu'ils en soient remerciés.

Bruno Schulz est né en 1892 à Drohobycz, petite ville de l'Ukraine actuelle, non loin de la frontière polonaise, Pays au destin peu ordinaire : à la naissance de Schulz et jusqu'en 1918, c'était la Galicie, province orientale de l'empire austro-hongrois, mais auparavant ces vastes contrées avaient appartenu pendant des siècles à la République de Pologne. Elles redevinrent polonaises entre 1918 et 1939, avant d'être occupées par les Soviétiques, puis les Allemands et d'enfin être incluses dans l'URSS jusqu'à la fin de celle-ci. La famille Schulz était juive de langue polonaise, ce fut donc la langue d'écriture de Bruno et, d'ailleurs, toute son œuvre est née alors qu'il était citoyen polonais.

L'extraordinaire – au sens propre, car son œuvre dépasse de très loin l'ordinaire – est qu'il a réussi à transcender cette existence presque entièrement faite d'insatisfaction et de frustrations, en transfigurant son entourage médiocre, parents, famille, connaissances et décor grisâtre de la ville de province. Il l'a métamorphosé en un monde enchanté, où le merveilleux coule de source. C'est ce qu'il a appelé lui-même « la mythification de la réalité ».
Alain Van Crugten dans Pourquoi retraduire Bruno Schulz ?

Extrait de « La république des rêves »
« ...En ces jours lointains, mes camarades et moi nourrîmes pour la première fois l'idée impossible et absurde d'aller voir plus loin, au-delà de cette petite station thermale, dans un pays de Dieu n'appartenant à personne, en des confins contestés et encore neutres, où se perdaient les frontières des États et où la rose des vents tournait, affolée, sous le haut ciel étagé. Nous voulions nous retrancher là, nous rendre indépendants des adultes, sortir totalement de leur sphère et proclamer la république des jeunes. Nous devions y installer une législation neuve et autonome et y établir une nouvelle hiérarchie des dimensions et des valeurs. Ce devait être une existence sous le signe de la poésie et de l'aventure, des éblouissements et des étonnements permanents. Il nous semblait qu'il suffisait de repousser les barrières et limites des convenances, de changer le vieux cours des choses dont étaient prisonnières toutes les affaires humaines pour que dans notre vie s'introduise un élément puissant, une grande invasion d'inconnu, un déluge d'aventures et de fables.Nous voulions livrer nos vies à ce courant de fabulation, à l'irruption inspirée des événements, nous voulions nous laisser porter par ces vagues gonflées, et être soumis à elles seules. En fait, l'esprit de la nature est un grand fabulateur. C'est de son sein que jaillit un flux irrépressible et prolixe de contes et de romans, de ballades et d'épopées. L'atmosphère est peuplée d'une foule de trames de fiction. Il suffisait donc de tendre des filets sous le ciel empli de fantômes pour que viennent y battre des ailes des lambeaux de romans pris au piège... »