La salle de bal
de Anna Hope

critiqué par Pascale Ew., le 12 octobre 2017
( - 56 ans)


La note:  étoiles
Qu'est-ce qu'un fou ?
Ce roman à trois voix raconte le destin croisé de trois personnages : Ella Fay, John Mulligan et le Dr Charles Fuller. En cet hiver de 1911, Ella est internée dans l'asile de fous de Sharston après avoir cassé une vitre dans la filature où elle travaille. Le taiseux John y est déjà interné. Quant au jeune Dr Fuller, il tente de moderniser cet établissement modèle en y introduisant sa passion pour la musique, persuadé qu'elle adoucit le tempérament et peut guérir les âmes. C'est ainsi que tous les vendredis, les aliénés qui se sont bien comportés peuvent assister à un bal.
Les pensionnaires doivent composer avec les multiples humiliations infligées par le personnel abusif, réfréner leurs révoltes qui ne mènent qu'à plus de répression et de méchanceté sournoise, voire de vengeance. Le Dr Fuller se persuade que la modernité veut la stérilisation des "faibles d'esprit" (comme le prescrivait effectivement Churchill en 1913). En proie à des démons intérieurs, il va basculer vers la frontière qui le sépare de ceux dont il est en charge. Et l'auteur nous amène bien sûr à nous demander qui est le plus fou de l'histoire…
Le lecteur frémit de frustration avec les personnages attachants et très humains (car fragiles) de ce roman devant l'injustice de leur traitement - bien que l'auteure n'exagère pas dans l'horreur et la violence -, devant la mentalité qui voulait qu'on écarte une personne dès qu'elle sortait du rang et dé-rang-eait, et on se rassure comme on peut en se disant que les temps ont bien évolué.
Vol au-dessus d’un nid … du Yorkshire 8 étoiles

Nous sommes en 1911, l’hiver, et Ella Fay, ouvrière de filature surexploitée qui n’en peut plus de sa condition se rebelle et casse des vitres de la filature. Elle est conduite illico chez les fous, l’asile de Sharson où officie entre autres médecins le Dr Fuller, homme encore jeune, idéaliste et persuadé que la musique, la beauté de la musique, peut contribuer à réparer les âmes.

»Je suis le Dr Fuller, annonça-t-il d’une voix lente, au cas où elle serait sourde. Je suis l’un des médecins-chefs adjoints ici. J’ai pour tâche de m’occuper de votre admission.
- Mon admission ?
- Oui.
Il s’adossa dans son fauteuil en lissant les pointes de sa moustache. Elles étaient acérées, on aurait craint de s’y piquer.
- Savez-vous pourquoi vous êtes là ?
- Oui.
- Oh ?
Il se pencha légèrement.
- Expliquez-moi.
Les mots tombèrent des lèvres d’Ella :
- J’ai cassé une fenêtre. A la filature. Hier. Je suis désolée. Je rembourserai. Mais je ne suis pas folle.
L’homme étrécit les yeux sans cesser de soutenir son regard. Après un petit hochement de tête, il reporta son attention sur sa feuille et écrivit quelque chose.
- Nom ?
Elle ne répondit pas.
Il fit claquer sa langue contre son palais.
- Quel est votre nom ?
- Ella. Fay. »


Et c’est parti pour l’enfer. Un enfer au sein duquel les séances expérimentales de musique du Dr Fuller amènent une brèche appréciée. Pour Ella comme pour Clem. Et pour John Mulligan, le mélancolique irlandais.
Ella, John et le Dr Fuller vont être les trois protagonistes majeurs de cette très belle histoire mais dans laquelle rien ne tournera comma ça aurait pu – aurait dû – tourner. Pour le malheur de chacun bien sûr. Mais que peut-on attendre d’heureux d’un tel milieu, le milieu psychiatrique ?
A l’instar du Chagrin des vivants, Anna Hope nous embarque dans une histoire aussi sensible qu’elle est belle et improbable. Elle démontre là encore une belle originalité dans son inspiration.

Tistou - - 67 ans - 28 février 2022


à l'asile 3 étoiles

Une jeune femme apeurée qui se retrouve dans un milieu carcéral, des gens inquiétants, des codétenus étranges, un personnel intransigeant. Non, ce n'est pas une prison mais alors où nous trouvons-nous? Dans un asile de fous !!?? Parce qu'Ella a cassé un carreau dans son usine !!??

Après avoir lu le début du livre, la curiosité m'a alors poussée à acheter le roman en version e-book mais très vite, certains éléments de l'histoire m'ont paru flous et ce n'est pas la suite qui m'a livré des explications. Pourquoi certaines personnes peuvent partir de l'asile et d'autres pas? Que reproche-t-on de grave à Ella? Qu'a fait John Mulligan, l'Irlandais, pour être enfermé? Et si ces gens sont enfermés, comment peuvent-ils prendre plaisir à une fête et des jeux collectifs avec le personnel du Centre?

Il est beaucoup question d'eugénisme mais on parle de faibles d'esprit et aussi de pauvres, Ce n'est pas la même chose.

Le déroulement de l'histoire avec l'enfant en gestation est convenu, la fin de l'histoire aussi, même si j'ai versé ma larme, je l'avoue.

Le style du livre est inégal et certaines phrases peu claires voire bancales, sans doute dues à une traduction voulant peut-être trop coller au texte.

Il est dommage que l'auteur ait fait de longues recherches au sujet de cet institut et de l'eugénisme, l'ensemble m'a paru brouillon.
Pourtant, le livre démarrait bien ...

Odile93 - Epinay sur Seine - 69 ans - 28 novembre 2020


Un bien beau roman, très humain 9 étoiles

Voici ce que je notais après une cinquantaine de pages lues de « La salle de bal » de Anna Hope :

Au début de la lecture, on voit venir toute l’histoire avec ses gros sabots : la gentille fille injustement internée, le bon médecin qui s’efforce d’aider ses patients avec la musique, injustement brimé par une hiérarchie obtuse et sans cœur, le brave homme au grand cœur interné depuis longtemps… On subodore qu’après moult péripéties, l’histoire finira bien pour ces trois-là, que l’amour et la justice triompheront. Enfin, on va continuer cette lecture avec patience, en espérant que l’auteure aura su me détromper et réussir à enfin m’intéresser à son histoire. Wait and see…

Et… l’auteure a bien réussi à me détromper et m’intéresser à son histoire ! C’est qu’elle a su sortir des sentiers trop faciles à battre et à faire dévier subtilement les évolutions de ses personnages, évolutions qui finiront par être favorables pour certains, moins pour d’autres, mais avec toujours la souffrance comme commune expérience.

Mais il a fallu être patient. C’est lent et peu rythmé. Ce n’est qu’après le 1er tiers que la tension commence à monter petit à petit, avec une intensité toute psychologique et sentimentale, qui vous prend d’un désir toujours croissant de savoir la suite. Au final, je ne le regrette pas de l’avoir lu, c’est un très bon livre. Pas un chef d’œuvre mais suffisamment bon pour y prendre plaisir et vibrer avec les personnages qui nous font traverser une gamme d’émotions variées et contradictoires, jusqu’à la fin qui est émouvante.

Et cela nous donne l’occasion d’apprendre que l’eugénisme était une idée relativement répandue à la Belle Epoque, qui pouvait s’exprimer et s’imprimer sans interdits. Même Churchill, qu’on voit apparaître dans ce livre, alors ministre de l’intérieur, y était favorablement sensible ! On se dit que les horreurs nazies ne sont pas survenues par hasard, qu’il y a eu un terreau d’idées dans les décennies précédentes qui ont permis qu’elles puissent être appliquées, dans les circonstances qu’on connaît. Bref, aucune idée ou courant d’idées n’est anodin, que ça peut déboucher sur des actes qu’on n’aurait pas imaginés. En tout cas, ce livre est aussi en cela une leçon d’histoire intéressante.

Une leçon faite d’une écriture sensible, holistique même, qui montre que l’être humain pense et se meut par les sentiments qui agitent son cœur, par les idées qui décident sa volonté, par l’expérience douloureuse du passé, par son environnement physique et climatique qui l’influencent aussi.

Un beau roman à 3 voix qui nous permettent de suivre le destin de 5 personnages principaux, à partir d’une situation donnée, ici un asile d’aliénés mentaux où la folie n’est que prétexte à enfermer ce qui dérange et où la frontière avec la santé mentale peut être floue et arbitraire. De beaux et terribles portraits d’êtres humains qui essaient tous de se construire leur destinée propre, avec leurs espoirs, leurs souffrances et leurs croyances, malgré les travers de leur époque et de leur société d’alors.

Anna Hope a réussi là, un bien beau roman, très humain, au démarrage trop lénifiant toutefois.

Cédelor - Paris - 52 ans - 5 juin 2020