Maternité et biologie
de Jean Rostand

critiqué par Eric Eliès, le 29 septembre 2017
( - 49 ans)


La note:  étoiles
Une présentation historique des croyances sur la conception et la maternité et quelques digressions (à connotations eugéniques) sur les perspectives ouvertes par la science
Ce petit livre, écrit par un scientifique autodidacte passionné par la vulgarisation et le débat d’idées, est passionnant, notamment dans son approche historique des balbutiements de la science pour tenter de percer les mystères de la reproduction sexuée et de la génération d’un être vivant, et stupéfiant, notamment dans ses réflexions prospectives. Ce livre fut écrit dans les années 60 et il me semble que son dernier chapitre participe du « rationalisme magique » alors à la mode, dont « Le matin des magiciens » est le plus illustre exemple. En effet, non seulement il expose les conséquences possibles des progrès scientifiques (avec des connotations clairement eugéniques) mais - c’est le point qui m’a réellement stupéfait car si c’est vrai, je l’ignorais totalement – il dévoile des potentialités de parthénogenèse (naturelle et/ou expérimentale) chez les vertébrés, oiseaux et mammifères.

La partie historique est très accessible. Jean Rostand présente les différentes théories et conceptions élaborées dans l’Antiquité, notamment par les Grecs, pour comprendre comment l’acte sexuel peut aboutir à la naissance d’un nouvel être. Dans la plupart des civilisations antiques, la femme est considérée comme une sorte de champ fertilisé par la semence de l’homme. Cette prévalence du père sur la mère justifie, pour les philosophes antiques, la supériorité de l’homme sur la femme. Néanmoins, les Grecs (qui ont mené les premiers travaux de dissection et d’anatomie comparée) ont nuancé cette conception, sans toutefois remettre en cause la hiérarchie des sexes. Afin d’expliquer la transmission à l’enfant de traits appartenant à la mère et au père, ils ont imaginé (notamment Démocrite et Hippocrate) que l’enfant résultait du mélange de deux semences fabriquées par la mère et le père et que les différences entre les enfants d’un même couple résultaient de variations dans l’intensité et la quantité des semences et dans la température du corps féminin, selon que l’enfant est porté plutôt à gauche ou plutôt à droite dans le ventre de la mère. La semence était considérée comme la quintessence de tout le corps et non des organes sexuels, puisqu’elle avait la capacité de générer un corps complet. Aristote, qui publia un traité de biologie, était opposé à la notion de semence féminine. Pour lui, il n’y avait qu’une semence, celle de l’homme, qui fertilise et spiritualise la matière embryonnaire fabriquée par la femme. Quand l’esprit l’emporte sur la matière, un garçon est conçu. Si la matière est trop épaisse pour être spiritualisée, il naît une fille, qui apparaît donc comme une sorte d'être imparfait. Néanmoins, Aristote ne se contente pas de disserter théoriquement sur les sexes ; ayant étudié le développement d’embryons dans des œufs de poule, Aristote est le premier à comprendre les étapes de l’épigénèse (développement progressif de l’embryon par formation successive des organes).

Jusqu’à la Renaissance, aucun progrès n’est réalisé : tous les penseurs ne font que disserter sur les thèses d’Hippocrate ou d’Aristote. Au XVIIème siècle, Parisonus et Aromatari développent, par comparaison avec la génération des plantes, la notion de germes qui contiennent la totalité de l’être futur. La découverte du spermatozoïde (en 1677 à Dantzig par observation au microscope) fait croire que le sperme contient des germes vivants qui, comme des animalcules ou homoncules, vont ensemencer un œuf logé dans le corps féminin, qui lui servirait de logement et de nourriture. Pour résoudre le problème de la fabrication des germes, il fut décrété que tous les germes avaient été créés par Dieu au commencement puis avaient été disséminés ou imbriqués (comme une série presque infinie de poupées gigognes) dans le premier être. Comme il était admis que le nombre de germes existant était fini, les philosophes et théologiens croyaient au caractère inéluctable d’une extinction totale des espèces. Néanmoins, la naissance d’êtres monstrueux suscitait débat : Dieu avait-il créé les germes de ces êtres ? La question revenait à se poser celle de l’existence du mal dans un monde créé par Dieu… De même se posait la question de l’âme : existait-elle déjà dans les germes ? Si oui, que devenait l’âme des germes qui ne participaient pas à la conception d’un être humain ?

En conséquence, la notion de germe, même si elle fut très à la mode au XVIIème siècle, périclita. Maupertuis et Buffon, notamment, étaient partisans de la thèse des deux semences, seule capable d’expliquer la transmission à l’enfant des caractères des deux parents. C’est la théorie cellulaire, née des découvertes du XIXème siècle, qui a permis d’expliquer, par la transmission des chromosomes, l’existence d’un patrimoine héréditaire. Néanmoins, la reproduction cellulaire va bien au-delà de la transmission des gènes. Le cytoplasme, qui entoure le noyau, est intégralement dû à la mère or c’est lui qui permet l’existence de l’embryon et, sans aucun doute, influence son développement. Chez de nombreuses espèces animales, notamment invertébrées, l’ovule n’a pas besoin de cellule mâle, dont la seule fonction est d’apporter des gènes. C'est ici que Jean Rostand énonce sa phrase célèbre, selon laquelle on pourrait imaginer un monde uniquement peuplé de femmes tandis qu'un monde d'hommes est impossible. Les Grecs avaient imaginé une théorie de la conception fondant la supériorité de l’homme sur la femme ; la biologie rétablit la femme dans ses droits et, même, la hisse au-dessus de l’homme.

Jean Rostand se montre alors moraliste (et je ne sais pas trop, au final, s’il se montre féministe ou conservateur dans sa défense des privilèges de la femme) quand il affirme que la place prépondérante de la femme dans la conception lui confère des droits spécifiques vis-à-vis de la société, qui se doit donc de la protéger. En effet, la sensibilité de l’embryon est si forte que de nombreux facteurs (chimiques, psychosomatiques, hormones, etc.) sont tératogènes. D’ailleurs, on pensait au 19ème siècle qu’un choc psychologique intense de la mère pouvait suffire à engendrer un enfant monstrueux. En prenant paradoxalement appui sur « Le meilleur des mondes », Jean Rostand présente les axes de la recherche scientifique et les possibilités qu’offre la science pour améliorer les conditions de la maternité voire pour substituer à la mère un milieu plus favorable au développement de l'embryon. Sa vision est clairement eugénique : Jean Rostand promeut les manipulations permettant d’éradiquer les malformations génétiques et, dans un contexte politique délicat à l’époque (le livre est écrit dans les années 60), justifie le recours à l’avortement (tout en présentant les progrès de la science comme un moyen de le rendre inutile). Pour Jean Rostand, la science eugénique est une chance. Il imagine même divers procédés permettant de s’affranchir de certaines limites naturelles (exemple : stimulations sensorielles prénatales, taille du cerveau à la naissance, etc.) pour exploiter ou accroître toutes les potentialités de l’être humain.

Les derniers chapitres, consacrés à l’ectogenèse (= grossesse en bocal) et à la parthénogenèse (= grossesse virginale), sont assez techniques et j’ai eu du mal à les lire, tant je me demandais s’il s’agissait de vulgarisation « de pointe » ou de charlatanisme sous couverture scientifique, tant certaines assertions m'ont fait songé aux propos délirants contenus dans « Le matin des magiciens » sur les pouvoirs cachés de l'homme. Pourtant, Jean Rostand semble reconnu comme un biologiste et scientifique de talent.

Le chapitre relatif à l'ectogenèse détaille les difficultés et possibilités de la conception in vitro, aujourd’hui banale, dont il apparaît qu’elle est le résultat de nombreux travaux menés depuis le début du XXème siècle. Le développement de l’embryon suit des étapes successives dont le franchissement a souvent été difficile. Jean Rostand cite fréquemment Etienne Wolf, qu’il admire de toute évidence, et se montre à la fois enthousiaste (il voit dans l’ectogenèse une amélioration révolutionnaire de la condition féminine et l’émancipation de l’humanité au-dessus des limites et contraintes imposées par la nature) et prudent (il craint que la dés-animalisation de l’homme entraîne aussi sa déshumanisation). Néanmoins, on voit bien que son cœur penche vers l’eugénisme scientifique, qu’il perçoit clairement comme une chance.

Le chapitre final et son annexe sont consacrés à la parthénogenèse, qui est la faculté naturelle des cellules de se diviser et de se développer pour donner naissance à un embryon sans procréation sexuée. Jean Rostand présente cette reproduction comme fréquente chez les invertébrés et possible chez les vertébrés, y compris chez l’homme (mâle ou femelle). Il cite quelques exemples historiques recensés dans les annales médicales (qui m'ont paru extraordinaires !) et détaille longuement les travaux de Pincus et d’Albert Peyron qui fut, selon lui, injustement décrié. Pour Albert Peyron, les testicules abritent de nombreuses cellules à l’état de division embryonnaire ; ces divisions sont toujours abortives mais peuvent donner lieu à des cancers (le même phénomène pourrait être à l’origine de kystes et/ou de cancers des ovaires chez la femme). Jean Rostand présente le cas de la dinde qui serait, d’après les études statistiques, le vertébré le plus apte à la parthénogenèse. La parthénogenèse est statistiquement très faible et toujours abortive mais il est possible de l’encourager par la sélection des individus les plus aptes et, en laboratoire, d’amener à maturité des embryons issus de parthénogenèse (même si la possibilité théorique – quasi miraculeuse - d’une parthénogenèse naturelle réussie jusqu’à son terme n’est pas nulle, dixit Jean Rostand…). Le patrimoine génétique de ces individus étant toujours une duplication du patrimoine de la mère (diploïdie), il est plus sujet à l’expression de gènes récessifs favorisant les anomalies ou tares génétiques ; par ailleurs, le sexe est toujours déterminé du côté de l’homogamétie (fille [XX] pour les êtres humains mais mâle pour les dindes !)

Nota : Jean Rostand s’abstient soigneusement d’évoquer Jésus comme un exemple possible de parthénogenèse… mais il l’aurait peut-être fait si le Christ avait été une femme !