La nuit spirituelle
de Lydie Dattas

critiqué par Septularisen, le 25 septembre 2017
(Luxembourg - 56 ans)


La note:  étoiles
Et il ne restera rien de ce qui portait jusque-là le nom de la Beauté…
«La seule Révélation est celle de ma propre nuit, le seul dévoilement celui de mon ignorance : ni la pourpre, ni le grenat, ni l’angélique, ni le cobalt, ni le jaune d’or, dans toute la magnificence de leur apparat, n’illustreront mon histoire, la flamme d’aucun vitrail n’illuminera mon martyre» (…).

"Je ne veux plus la voir, elle me contredit tout le temps. D'ailleurs Lydie est une femme et je déteste les femmes". C’est suite à cette phrase, prononcée un peu à la va vite par Jean GENET, après leur rencontre (celui-ci occupait l’appartement trois étages en dessous du sien), que Lydie DATTAS a écrit ce texte, une sorte de longue lettre, sous la forme d’une poésie en prose, pour l’obliger à revenir vers elle, en effet elle le considérait comme … Ainsi naquit «La nuit spirituelle», réaction d’orgueil pour le blesser, pour surmonter son désespoir, pour lui rendre «mort pour mort»!...

L’auteur, nous expose une sorte de litanie, parfois un peu répétitive et un peu trop martelée – sans doute le seul point négatif du livre je dois dire -, une sorte d’opposition entre le fait d’«être» une femme (la faute originelle) et l’homme mais aussi entre la beauté et la spiritualité. Elle rentre dans les profondeurs de son propre être, de ses propres « ténèbres » pour répondre à cette façon dont Jean GENET l’a renvoyée à son propre « féminin ».

«Ne pouvant supporter de vivre en dehors de la Beauté, mais ne pouvant m’en approcher sans la profaner davantage, je m’efforcerais de faire de cette malédiction même une beauté, je m’efforcerai de rendre cette malédiction si profonde et si sombre qu’elle en soit belle…» (…)

Que dire de plus? Écrit en 1977 , c’est une sorte de «chant spirituel», très court – le livre fait une quarantaine de pages -, c’est un texte ardu et exigeant. Il ne faut d’ailleurs pas hésiter à relire certains passages pour bien en comprendre la beauté et la profondeur. C’est un langage direct, sans fioritures, sans concessions, simple, rigoureux, dépouillé, parfois d’une extrême froidure, Des phrases courtes, presque sans virgules, mais toujours très belles je dois dire.

«La Beauté est mon calvaire. Toute beauté me plonge au sein du désespoir en me rappelant que j’en suis bannie et en me renvoyant à ma propre nuit intérieure, chaque nouveau chant, chaque nouvelle partition de lumière renouvelant sous une forme chaque fois plus éclatante et plus irrévocable l’anathème m’interdisant d’en approcher…» (…)

Vraiment un très beau texte, parfois peut-être un peu obscur aux yeux du profane, mais la langue et la grammaire sont, je dois le dire, riches, magnifiques, magiques!
Une excellente auteure, sans doute un des plus grands poètes français actuels ou en tous les cas une des voix les plus singulières de la poésie française d’aujourd’hui. Dommage que Lydie DATTAS soit si peu connue et si peu lue.

Laissons maintenant la parole au poète :

"Si la nuit est pour vous ce temps de trêve et d'inconscience qui va du crépuscule du soir au crépuscule de l'aube, et si elle cesse pour vous avec le jour, elle est ma conscience même et n'a pour moi pas de fin... Parce que je suis femme, condamnée à la plus humiliante infirmité, qui n’est pas celle du corps mais celle de l’âme, condamnée à vivre l’envers de toute spiritualité, il me faut pour subsister glaner dans les ténèbres les déchets que rejette l’esprit, porter éternellement le deuil de la pensée".