Karain
de Joseph Conrad

critiqué par Tistou, le 21 septembre 2017
( - 67 ans)


La note:  étoiles
La force de la persuasion …
« Karain », nouvelle de Joseph Conrad se déroulant classiquement dans les mers du Sud-Est asiatique est à mes yeux davantage que cela. Je veux dire davantage qu’une péripétie asiatique. Ce qui constitue le fond, d’ordinaire, de ces nouvelles consacrées à la navigation et la découverte dans ces territoires, n’est ici que la forme habillant un propos différent – en tout cas c’est ainsi que je le ressens – la forme servant de support pour montrer comment on peut endoctriner un être, presque pourrait-on dire comment on pourrait faire naître une religion, simplement par une force de persuasion peu commune et un contexte qui s’y prête. Ici, c’est le contexte qui s’y prête particulièrement.
Le narrateur navigue avec son équipage disons du côté des côtes malaises ou philippines, et rencontre dans une baie peu fréquentée une tribu dirigée par un certain Karain, qui leur fait forte impression :


« On se rappelle les visages, les yeux, les voix ; on revoit l’étincellement de la soie et métal ; on entend la rumeur confuse de cette foule bruyante, animée et martiale, et l’on croit sentir le contact de ces mains brunes et amicales qui, après une courte étreinte, retournaient se poser sur une poignée ciselée. C’étaient les gens de Karain, ses fidèles compagnons. Leurs mouvements étaient suspendus à ses lèvres ; ils lisaient leurs pensées dans ses yeux ; à voix basse, avec nonchalance, il leur parlait de vie ou de mort ; et ils accueillaient humblement ses paroles comme des décrets du sort.
…/…
Du pont de notre goélette, mouillée au milieu de la baie, Karain, d’un geste théâtral qui embrassait le contour déchiqueté des collines, montra toute l’étendue de son domaine : et l’ampleur de ce geste sembla en reculer les limites, le transformer soudain en une étendue si vaste qu’on eût dit, un instant, qu’il n’avait plus d’autres bornes que le ciel. Et, en vérité, à contempler cet endroit fermé de la mer et bloqué du reste du pays par les pentes de montagnes escarpées, il était difficile de croire à l’existence d’aucun voisinage. »

Ils acceptent de traficoter, de revendre des armes, plutôt périmées à ce qu’il semble, hypnotisés par la personnalité de Karain jusqu’à ce que leurs certitudes tombent, lors de leur dernier voyage : le vieil homme qui ne quittait pas Karain d’une semelle, portait son épée et lui chuchotait des mots, incidemment, est mort et Karain est introuvable, comme volatilisé.
La veille de quitter définitivement le mouillage dans la baie, la nuit tombée, Karain arrive à l’improviste. Il est venu seul, à la nage, et l’homme semble complètement défait, décomposé.
Il raconte alors son histoire, notamment que ce vieil homme, plutôt sorcier, le protégeait d’esprits persécuteurs, et qu’il a peur dorénavant. Il leur demande de l’emmener ou de lui fournir un moyen de chasser les esprits. Et c’est alors qu’on en vient à l’objet principal de la nouvelle ; un des officiers du bord a une inspiration et demande au narrateur ainsi qu’à l’autre officier présent de jouer le jeu …
Le jeu ? Vous le découvrirez en lisant « Karain » bien entendu. En sus d’une belle aventure humaine, vous aurez l’occasion de profiter de la verve de Joseph Conrad, indépassable pour ce qui s’agit de ce genre de voyage …