Le portrait de Jenny
de Robert Nathan

critiqué par Malic, le 5 septembre 2017
( - 82 ans)


La note:  étoiles
Un roman magique et envoûtant
A New York, Eben Adams, peintre inconnu et sans le sou ne vit que pour son art. Solitaire, au bord du désespoir, il traverse un soir un parc désert lorsqu’il croise une fillette un peu fantasque, habillée d’une façon démodée, avec laquelle il échange quelques propos amicaux. Il la revoit plusieurs fois par la suite, à des intervalles de quelques semaines ou quelques mois et chaque fois elle semble avoir vieilli de plusieurs années. Complicité, amitié puis amour lient bientôt Eben et Jennie devenue jeune fille. Il fait son portrait, une œuvre dont émane une telle aura qu’elle marquera le début de son succès. Etrange personnage que cette Jennie qui s’absente et réapparait mystérieusement, qui ne semble vouloir grandir que pour pouvoir aimer Eben et qui lors de leur première rencontre murmure cette chanson énigmatique et mélancolique :

« D’où je viens
Personne ne sait.
Où je vais
Tout s’en va
Le vent souffle
La mer s’écoule
Et personne ne sait. »

Qui est Jennie et d’où vient-elle, le roman donne quelques clés au lecteur, mais juste ce qu’il faut pour ne pas dissiper l’aura de mystère dont est nimbé le personnage.

Ce court roman écrit en 1940 appartient au genre fantastique, mais ici le fantastique n’est pas synonyme d’horreur comme c’est si souvent le cas dans la littérature ou le cinéma, mais de merveilleux – ce qui n’exclut ni la mélancolie ni même le tragique. Le véritable sujet de l’histoire, c’est l’amour qui défie le temps et la mort, et aussi les thèmes de l'absence et de la perte. C’est une histoire très romantique, une histoire d'amour fou, proche de l’esprit du surréalisme, non pas au sens de bizarrerie délirante auquel on réduit souvent le terme, mais par le refus du misérabilisme, la recherche de la beauté du monde et la primauté du merveilleux et de l’amour.

Les personnages de Jennie et d’Eben sont décrits avec une grande délicatesse. Et comme le remarque Robin Cook dans sa très belle préface, tous les personnages de ce livre (exception faite de Mrs Jekes, la logeuse aigrie) sont profondément bons sans que ce roman ne soit jamais mièvre. L’auteur, qui était lui-même peintre en même temps que romancier, excelle également dans l’évocation des atmosphères, un bord de mer, un parc hivernal etc.

Une histoire magique et envoûtante, un roman prenant, très bien écrit dans une tonalité à la fois exaltée, mélancolique et sereine.
Sous le même titre, « Le portrait de Jennie » a été adapté au cinéma en 1947 par William Dieterle, avec Jennifer Jones et Joseph Cotten. Sans être un chef d’œuvre, ce film restitue une bonne part du charme du roman, servi par une photographie qui constitue l’un des sommets du noir et blanc hollywoodien.