Les sentiers de l'utopie
de Isabelle Fremeaux, John Jordan

critiqué par Fanou03, le 23 août 2017
(* - 48 ans)


La note:  étoiles
Un périple au sein de l'anarchisme
Les sentiers de l’utopie est le récit du périple européen (France et Espagne principalement, mais aussi Serbie et Angleterre) qu'Isabelle Fremeaux et John Jordan ont réalisé au cours d’un voyage de six mois, en 2007, au cours duquel ils sont partis à la rencontre d’une dizaine de communautés ayant décidé, à différentes échelles et avec différentes ambitions, de mettre en œuvre une philosophie anarchiste, écologique et anti-capitaliste.

Même si elles évoluent majoritairement dans un environnement rural (le livre montre cependant des exemples d’autogestion dans un contexte plutôt urbain : quartier de Christina à Copenhague, ou une usine pharmaceutique en Serbie), les communautés évoquées dans l’ouvrage sont assez diverses, dans leur forme, leur importance et les stratégies qu’elles ont développées, ce qui donne l’impression d’une bonne représentativité. Dans le cas des communautés rurales, l’agriculture, en même temps que la question écologique (réchauffement climatique, agroécologie, permaculture) est alors au cœur de leur fonctionnement.

La vivacité de l’idéologie libertaire a été mon premier sujet d’étonnement à la lecture de ces témoignages très instructifs. De fait l’ouvrage est une introduction, par la pratique pourrait-on dire, aux principes de l’anarchisme. Moi qui assimilais ce courant de pensée au chaos politique, je me suis aperçu que j’en avais une idée fausse, puisqu’au contraire, comme d’ailleurs le montre une citation de Proudhon cité dans l’ouvrage, « l’anarchisme c’est l’ordre ». Les communautés étudiées dans le livre sont donc dans leur immense majorité très bien organisées, mais refusent toute hiérarchie et pratiquent la prise de décision horizontale par consensus. Les auteurs, d’ailleurs, s’ils louent l’intérêt de ce dernier principe, ne cachent pas les difficultés auxquelles sont confrontés au quotidien les groupes d'hommes et de femmes les mettant en pratique : discussions interminables, prise de décision impossible, danger de la mainmise d’un membre charismatique. Pour minimiser ces problèmes, Isabelle Fremeaux et John Jordan insistent sur la nécessité de la maîtrise de certaines techniques de conduite de réunion, mises en place avec succès au sein du groupe d’écologistes qui a occupé temporairement l’aéroport d'Heathrow en 2007, pour obtenir avec efficacité des décisions par consensus.

On apprend aussi, à travers les expériences de ces communautés auto-gérées, que l’Humain est au cœur des préoccupations libertaires, à l’image des valeurs qu’entend porter auprès de ses élèves l’école anarchiste de Paideia, en Espagne comme l’égalité, la justice, la solidarité, la liberté, la non-violence. Mais sur ce sujet aussi les auteurs ont l’honnêteté de pointer que les relations entre les membres des communautés ne sont pas forcément toujours sereines, même débarrassées des tentations consuméristes, un des équilibres à atteindre étant justement la balance entre l’investissement communautaire et l’épanouissement individuel.

La grande qualité des sentiers de l’utopie, en plus de nous enseigner les fondements de l’anarchisme, est d’être à la fois très positif (voire exaltant) quant aux expériences présentées mais pas angélique : le regard critique des auteurs est constamment présent, pour s’interroger sur les limites du fonctionnement des communautés. Les témoignages sont denses, profondément humains, que l'on peut rendre encore plus vivants si on le souhaite par le visionnage du documentaire accompagnant le livre. Les sentiers de l’utopie bouscule notre zone de confort et corrige l’image quelque peu folklorique des communautés autogérées que l’on peut avoir à l'esprit.