La serpe
de Philippe Jaenada

critiqué par Christian Palvadeau, le 3 août 2017
( - 59 ans)


La note:  étoiles
La Serpe hier
Dans un livre plus court que son précédent (seulement 625 pages cette fois-ci), Jaenada oriente le projecteur sur le nommé Henri Girard, sacré drôle de type ! Il est issu d’une lignée prestigieuse de bourgeois, châtelains en Dordogne, à Escoire (12 km de Périgueux). Son père, négligé, dénote un peu dans la famille et sa mère, anarchiste et athée, la honte de la famille, décédera rapidement de la tuberculose sans que les Girard n’acceptent de lui verser une aide financière pour ses soins. Henri est un gosse de riche, rebelle, en rupture, et sa vie sera pour le moins agité. Il fera quatre mariages, dilapidera en un rien de temps l’énorme héritage de son père, s’enfuira en Amérique du sud pour se refaire, y fera pléthore de petits boulots et rentrera en France misérable, connaîtra alors le succès littéraire avec son roman « Le Salaire de la peur » sous le nom de Georges Arnaud, adapté au cinéma par Clouzot, palme d’or à Cannes en 1953, outre romancier deviendra journaliste pour défendre les justes causes… Quelle vie ! Reste juste un détail…
En 1941, à 24 ans, il est accusé d’avoir occis son père, sa tante et la bonne à coups de serpe sur le crâne. Il réussira à ne pas être condamné grâce à la défense de Maurice Garçon, le plus grand avocat du 20ème siècle pour certains. Cette vie est racontée de façon brillante dans les 200 premières pages qui suffiraient pour former un livre emballant, mais c’est qu’il en reste plus de 400 ! L’auteur va passer 10 jours sur place, voir les lieux, potasser les archives. Il s’empare de cette matière, la pétrit avec délectation, s’arrête sur les moindres détails, se torture l’esprit, cherche les failles (car dans celles-ci peut percer la lumière) jusqu’à l’obsession et propose au final une autre hypothèse que celle du coupable idéal. Pas très convaincante au départ et puis… Bizarrement il fait le choix de modifier le nom de famille de la personne concernée pourtant bien connue notamment des auditeurs de l'émission L'Heure du crime de Jacques Pradel. Il termine véritablement en osmose avec cette histoire, ces lieux. Comme lors de son précédent ouvrage sur l’affaire Dubuisson, il n’est pas avare en apartés et digressions qui me semblent moins agaçantes (on s’habitue ?) et en ton potache, la construction est peut-être moins fluide, moins réussie, c’est un peu long et redondant sur la fin mais ça suscite tout de même encore sacrément l’admiration. Une immersion pour votre prochain week-end.
Persévérance récompensée 7 étoiles

Philippe Jaenada nous dresse un portrait particulièrement sombre d’Henri Girard – de son nom de plume Georges Arnaud-, rendant le personnage particulièrement antipathique.
Henri, né en 1894, est le "produit d’une longue lignée de figures importantes" et l’héritier d’une fortune conséquente.
La mort de sa mère, que sa belle-famille avait reniée et qui porte une part de responsabilité, va obliger l’enfant à vivre dans cette famille honnie, stricte, mais riche.
Henri fut un enfant, un adolescent, un adulte "capricieux, irascible, violent, méprisant" .
Retraçant sa généalogie (mais aussi celle des gens qu’il côtoie ou qu’il épouse) pendant presque 150 pages, le lecteur se retrouve fréquemment perdu dans une galerie de personnages, le plus souvent inconnus ou secondaires, avec un nombre impressionnant de digressions parfois très longues.

Alors, le jour où les corps de son père, sa tante et une employée sont découverts dans le château de la famille, il est évident, que, Henri, le seul survivant du carnage, est le meurtrier.

Philippe Janenada se transforme alors en enquêteur minutieux pour "détricoter" pièce par pièce, maille par maille, le portrait à charge du présumé coupable.
En analysant des milliers de pages, de témoignages, de procès-verbaux, de lettres, en menant l’enquête avec un maximum d’objectivité, l’auteur nous livre avec talent une analyse pointilleuse suivie d’ une nouvelle version des faits, le roman semblant changer de registre.
Et un portrait ô combien différent de celui qu’il nous avait dressé d’après les témoignages précédents.

"Ce que j’aime bien, ce sont les petites choses, le rien du tout, les gestes anodins, les décalages infimes, les miettes, les piécettes, les gouttelettes -j’aime surtout ces petites choses parce qu’on a pris l’habitude, naturelle, de ne pas y prêter attention ; alors que les décalages infimes et les gouttelettes sont évidemment aussi importants que le reste."

J’ai retrouvé avec plaisir le ton que j’avais aimé dans la Plage de Manaccora (lu en 2011), ce mélange d’insouciance, d’humour au milieu de faits tragiques et dramatiques. Mais j’ai surtout été impressionnée par le travail de Philippe Jaenada, par la précision de son analyse, tout en nous livrant SA version des faits avec précaution.
Un travail admirable et un livre passionnant...sans les 150 premières pages !

Marvic - Normandie - 65 ans - 14 mars 2019


Oui... mais non ! 6 étoiles

Oui mais non !

Alors... amoureux du "touffu" c'est ici que ça se passe.
Henri Girard... ce nom ne vous dit peut-être rien ; son pseudo littéraire était Georges Arnaud. Il a écrit en 1950 "le salaire de la peur" qui a été reproduit au cinéma avec le même titre. Un film inoubliable avec Yves Montand et Charles Vanel. En 1977 il y eu un "remake" de ce film sous le nom de "convoi de la peur" avec Roy Scheider et Bruno Cremer qui y joue son meilleur rôle.
Voilà pour les présentations du personnage (ou du moins ce qu'il en reste pour les amateurs de lecture et de cinéma). Jaenada qui semble s'être pris de sympathie pour les affaires criminelles du grand passé... Pauline Dubuisson dans "La petite femelle" remet le couvert avec "La serpe".

L'auteur décortique le personnage avec ardeur et minutie. Il alterne le texte avec son propre présent. En général, j'ai horreur de ce procédé (et il semble que certains critiques en soient aussi ulcérés) mais cette fois j'ai trouvé cela cocasse et bienvenu.
Il nous raconte Henri, la relation ambiguë avec son père, sa mère morte de la tuberculose, sa grand-mère qui transpire l'argent et l'autorité, sa tante, le château. Puis sa vie débridée à Paris, ses maîtresses, ses mensonges, ses vols, ses fourberies, la guerre (la seconde que l'on croyait impossible). Enfin les meurtres avec une serpe où tout l'accuse. le procès attire les foules et un ténor du Barreau s'invite à la fête.

Je n'en dirai pas plus pour ne pas dévoiler l'intrigue, mais c'est un cinquantaine de pages après l'issue du procès que j'ai ressenti une immense lassitude, l'histoire se répète, encore et encore. Avant c'était de gauche à droite mais maintenant dans l'autre sens. Les mêmes personnages mais avec d'autres nuances, l'ambiance en tournant les pages devient pesante et je me pose une question cruciale : la suite a-t-elle de l'intérêt ?
C'est ainsi que d'un coup, d'un seul... à l'heure où les honnêtes gens dorment, je re-claquais le livre. Le bruit n'émut personne, même le chat qui rêvait à ses exploits dans le jardin ne réagit qu'à peine en levant tendrement une paupière.
Pauvre prix Fémina qui consacra jadis le sublime René-Victor Pilhes, Georges Bernanos, Nancy Huston... !

Monocle - tournai - 64 ans - 8 décembre 2018


Un livre magistral 10 étoiles

Plus de six cent pages... J'avoue que j'ai entamé ce livre "pour voir", parce que j'avais lu une bonne critique et que le sujet avait piqué ma curiosité.
Je ne l'ai plus lâché.
Dans cette enquête très fouillée, Jaenada réussit à nous guider dans les méandres d'une affaire compliquée, à confronter les témoignages, à faire parler les lieux et les archives, à rendre parfaitement l'ambiance de l'époque et donner corps aux multiples personnages. Il fait cela très simplement, comme il raconterait à un ami, et avec un style très agréable, plus proche du conteur que du littérateur - Jaenada a incontestablement une voix.
Au-delà du fait divers, il y a des vies brisées dont il souligne, avec pudeur et respect, la fragilité. Et une réflexion qui m'a infiniment touché sur la relation d'un père et d'un fils.
Un très grand livre.

Deleatur - - 56 ans - 26 janvier 2018


Le salaire de la peur 8 étoiles

Il est content de lui, Jaenada ! Et il nous le fait savoir... Plus sérieusement son affaire est bien menée et on peut croire aux scénarios proposés et qui découlent des recherches approfondies qu'il a entreprises (nous explique-t-il complaisamment...). On le suit pas à pas dans sa démarche, on fatigue parfois. Mais le reproche principal que je lui adresse, c'est son style qui, à mon avis, n'est pas à la hauteur d'un prix littéraire et manque singulièrement d'élégance.

Tanneguy - Paris - 84 ans - 2 décembre 2017