Tombeau de Pamela Sauvage
de Fanny Chiarello

critiqué par Lobe, le 2 août 2017
(Vaud - 29 ans)


La note:  étoiles
(vingt-) trois p'tits chats, chapeaux de paille, etc.
Si vous rentrez dans ce wagon de train qui vous conduit vers vos vacances, il y a de bonnes chances qu’en scrutant les couvertures de roman des voyageurs déjà arrimés à leur siège, vos yeux tombent sur Vernon Subutex (tome 1 ou 2, ou 3), de Virginie Despentes. Des grappes de lecteurs s’intéressent à cette trilogie de romans choraux, qui se proposent de décrire la société d’aujourd’hui dans une peinture au vitriol - pardon pour le tic d’écriture.

Peut-être, mais c’est plus improbable, que le wagon comptera aussi un-e lecteur-trice du Tombeau de Pamela Sauvage, de Fanny Chiarello. Là encore, le livre entre les mains du lisant pourra être qualifié de roman choral, et se trouve être de nature à égratigner bien des travers de l’époque. Sauf que. La réalité (la quoi ? laquelle ?) est plus trouble. L’objet en question se propose en effet comme un roman contemporain (à un temps t qui pourrait être l’année 2015, par exemple) retrouvé dans un futur passablement lointain. Le roman en question aurait été annoté pour être intelligible de ceux qui sauraient encore pratiquer l’art de la lecture, et transmis de main en main comme un moyen pour éclairer le réel du passé. De ce fait, il est tout griffonné de notes de bas de page qui explicitent tous les termes dont le sens aurait été égaré à mesure que le monde a venir se serait distingué du notre actuel.

Et c’est dans cette brèche que tout advient : l’auteure, en désembuant le passé perdu de notre disparate système Terre d’aujourd’hui dévoile autant une société du future peu ragoutante qu’elle griffe toutes les absurdités et les dérives laides en germe dans celle de notre quotidien. Mais. Cette description d’une civilisation engagée sur une pente glissante oblitère tout un autre pan de ce qu’est ce Tombeau : un sanctuaire qui célèbre aussi le travail des coïncidences muettes, des correspondances fortuites, des passions solitaires, des refuges téméraires.

A mesure que vingt-trois personnages déroulent leur morceau d’existence singulière, voici que s’opère le projet dont Fanny Chiarello a glissé un indice au chapitre 8 : « retrouver l’émerveillement des petites choses […] exprimant la poésie du réel (en recoupant d’infinitésimales bribes de manière à les mettre en relief) ». Liées par le hasard, les destinées qu’elle juxtapose forment un puzzle qui évoque autant Georges Perec que Richard Brautigan. C’est un bien beau projet qu’ils ont en commun, que d’emporter loin sans oublier de tordre inlassablement la forme du roman.
Inclassable et jouissif ! 10 étoiles

Un livre de notes de bas de page, écrit dans une époque future. Les notes tentent d’expliquer au lecteur (celui du futur) les objets ou concepts de notre époque.
Un livre qui m’a fait sourire en cette période de confinement* !

Quelques exemples :
- Lire (note 1) : « La plupart des gens savaient lire et, encouragés par les autorités, le faisaient au grand jour »
- Humour (note 120) : « Obscur. Apparemment une référence à un type de fluide corporel »
- Voter (note 227) : « système inutilement complexe par lequel une population rarement éclairée choisissait notamment son ou ses dirigeants. »

Le monde futur apparait par touches dans ces notes :
« à l’époque, les pénuries alimentaires n’avaient pas encore pris une ampleur telle qu’il fût indécent de gâcher de la nourriture »
« Il s’agit bien du Manhattan de la famille Ellison ; à l’époque, l’île n’hébergeait pas une famille, mais 1 619 091 habitants ; les Etats-Unis d’Amérique n’étaient pas le Parc des seuls quinze Grands Patrons et de leurs familles […] »

Merci, Lobe !

* dû au COVID-19, un virus qui mit le monde à l’arrêt début 2020

Ludmilla - Chaville - 68 ans - 20 mars 2020