La Fille de Souslov
de Habib Abdulrab Sarori

critiqué par Débézed, le 10 juillet 2017
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
L'oiseau s'est envolé
Traduit en 2017, ce roman a été écrit en 2014 juste quand a commencé la guerre de Saada, une confrontation entre des rebelles zaïdistes et le gouvernement yéménite. Les insurgés, les Houthistes, se plaignent d’avoir été marginalisés par le gouvernement tant sur le plan politique, qu’économique et religieux. Ce conflit n’est pas éteint, le Nord et le Sud du pays se déchirent toujours aussi violemment, ce roman permet de mieux comprendre son origine et ses divers développements.

Avant de poursuivre, en 1970, ses études à Paris où il pense assister à la fin du capitalisme, Amran, le héros et certainement un peu l’auteur de ce roman, a participé aux émeutes marxistes qui ont agité le Yémen après l’indépendance du pays en 1967. Sarori raconte à travers les aventures amoureuses d’Amran les différents épisodes de l’histoire qui ont affecté le Yémen depuis son indépendance. Quand il était môme Amran rencontrait, dans une boutique d’Aden, une jeune et magnifique jeune fille, ils ne se parlaient jamais mais elle le regardait avec une intensité magnétique. Cette beauté était la fille du responsable de l’idéologie du parti, celui que tous appelaient Souslov car il avait suivi, à Moscou, l’enseignement du célèbre théoricien marxiste. Ainsi sa fille était devenue la Fille de Souslov.

A Paris, Amran rencontre sa future épouse, Najat, dont il est follement amoureux jusqu’à qu’elle soit foudroyée lors des attentats du métro Saint Michel commandités par des mouvements islamistes extrémistes. Amran est revenu régulièrement au Yémen et lors de l’un de ces voyages, après le décès de son épouse, il rencontre chez sa sœur à Sanaa une femme au regard magnétique qu’il pense reconnaître, elle se dévoile pour qu’il l’identifie avec certitude. C’est bien elle, la Fille de Souslov, elle a changé de nom et surtout de conviction, elle devenue l’un des cadres importants et virulents du pouvoir religieux. La différence de conviction, lui toujours un peu socialiste et surtout grand défenseur de la laïcité, elle franchement religieuse et sans aucun scrupule pour faire triompher sa cause, ne les empêche pas de renouer leur amour en lui donnant une vraie consistance sexuelle, elle devient sa maîtresse, il la partage avec un vieil imam fort influent dans les mouvements islamiques.

Ce couple magnifique mais fort improbable symbolise le Yémen coupé en deux : le Nord religieux et traditionaliste et le Sud moderne, ouvert sur le monde et plutôt marxiste. Une belle allégorie que Sarori développe pour expliquer ce qui sépare ces deux régions qui ne se rencontreront jamais, qui n’ont pas plus d’avenir que ces deux amoureux que tout éloigne sauf l’amour. Abyssale, comme Amran appelle son amante, explique sans état d’âme et avec conviction : « Nous sommes dans une guerre éternelle contre les impies. C’est une guerre, et non un caprice, mon chéri. Ils nous tuent comme ils peuvent et nous les tuons comme nous pouvons. » Tout espoir est définitivement perdu au grand dam de l’auteur qui croyait tellement à la révolution, au modernisme, à la liberté, à l’égalité, à la laïcité… Les potentats s’opposent, se détruisent, se vengent, se prennent tour à tour le pouvoir et écrasent chacun à son tour leurs pauvres sujets. « Le seul perdant serait le petit oiseau, le rêve de révolution yéménite, envolé trop tôt. »