Petite ville
de Alis Harry

critiqué par Fanou03, le 7 juillet 2017
(* - 48 ans)


La note:  étoiles
Lettres du Bourbonnais
Francis Berger, un jeune écrivain sans succès, traîne sa mélancolie dans le Paris des années 1880. Malgré ses réticences, Il décide de prendre un bol d’air estival dans la petite Ville de Larcy, au cœur de son Bourbonnais natal, où il a encore des attaches affectives. Il entreprend d’écrire quotidiennement à son ami le plus proche pour lui faire part de ses réflexions et des évènements auxquels il prend part.

Harry Alis est le troisième "écrivain oublié du Bourbonnais" que l’association Pré-texte nous fait découvrir, en rééditant Petite ville, publié à l’origine en 1886. Même si dans l’écriture du jeune homme qu’est alors Harry Alis transparaît avec évidence une partie des influences littéraires de l’époque, en particulier le naturalisme, agrémenté d’une dose de romantisme, il se dégage malgré tout du roman, grâce aux partis pris de l’auteur, une personnalité tout à fait originale.

La peinture des mœurs, faite sur le vif, à laquelle s’est livrée l’auteur, qui observe avec beaucoup de délectation l’agitation parfois futile de ses compatriotes, atteste en effet des références au naturalisme: sous nos yeux c’est ainsi une véritable comédie humaine qui anime le petit monde du bourg de Larcy et de ses environs, à travers les rapports de force sociaux et économiques notamment. Le romantisme quant à lui s’incarne par la figure même du narrateur qui se pose, fidèle aux codes du genre, en écrivain maudit, empreint de vague à l’âme, transporté facilement par les affres de l’amour et la beauté des paysages.

Mais toute la réussite de Petite ville est que Harry Alis parvient à fondre ces courants, d’une plume alerte et légère, dans un ton très personnel, presque à la façon d’un vaudeville, aussi bien en se moquant de lui-même et de sa posture romantique qu’en brocardant, plutôt avec gentillesse d’ailleurs, les gens du pays. Un passage, au tout début du livre, rend bien compte me semble-t-il du style d’Harry Alis:

« Parfois l’écœurement de mon existence parisienne me prend à la gorge comme une nausée. La monotonie des journées pareilles m’exaspère. J’ai la démangeaison des voyages, une avidité d’inconnu. Sur mon fauteuil, devant des livres suggestifs, je rêve des palmiers sahariens, des azalées japonaises, du grand silence de Tahiti. Je pars en fin de compte pour un trou de province quelconque On ne fait jamais ce qu’on voudrait. »

L’écriture, sans fioriture, est agréable, avec des tournures très modernes, les seules difficultés étant la pléthore de personnages rencontrés et le contexte politique, omniprésent, où j’ai regretté manquer de quelques clés pour tout bien saisir les enjeux. D'ailleurs dans la préface du livre l'auteur explique l’importance de l'angle politique dans le livre. Ce n'est plus elle aujourd’hui je pense qui fait l’intérêt profond de Petite ville. Le récit reste, malgré la forme ironique, un hommage à la région natale de l’auteur, comme on peut le voir dans l'autre extrait suivant:

« C’est année encore j’ai choisi le Bourbonnais, c’est un pays peu connu d’ailleurs, sauf Vichy, mis à la mode sous l’empire, Néris-les-Bains et Bourbons l’Archambault, deux vieilles stations thermales qui ont vu les rhumatisme de plusieurs siècles et que la mode a, pour le moment, abandonné. […] Le reste de la contrée n’a guère été décrit. C’est un passage jadis sillonné par les diligence, aujourd’hui percé de quelques voies ferrés. On traverse sans s’arrêter. Pourtant le paysage est plein de charme. [...] Il n’inspire pas d’émotion violente : la vue reposante de vallons successifs, ombreux, variés, verdoyants, parfois noyés en des brumes légères, une nature assagie et bonhomme, semblable au caractère des habitants. J'aime ce pays, d’ailleurs j’y suis né. »

Tout cela est donc bien savoureux, que ce soit les cancans politiques ou amoureux de Larcy, les deux ou trois apartés au cours desquels sont relatés des histoires passées du Bourbonnais ou bien encore les envolées sentimentales du narrateur. La forme épistolaire permet, il faut le dire, cette légèreté : dans ses lettres Francis Berger croque avec un second degré, plein d’humour, les protagonistes, ou bien avec poésie, une partie de pêche aux écrevisses. Harry Alis y fait montre également d’une grande sensibilité, sur certaines réflexions sur l’art ou la littérature par exemple. Il est rageant qu’il ait trouvé la mort dans un duel stupide à trente-sept ans, mettant un terme à un talent dont on aurait été curieux de voir les autres fruits littéraires.