Baisers à ne pas renouveler
de Paolo Di Stefano

critiqué par Sahkti, le 27 avril 2004
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Apprivoiser son passé
Paolo di Stefano est tessinois d’adoption. Il a débarqué de sa Sicile natale en 1963 à Lugano, avant de repartir, des années plus tard, à Milan où il travaille comme journaliste au Corriere della Sera.

Avec ce "Baci da non ripetere", Di Stefano nous raconte la vie d’un émigré sicilien, partagé entre sa terre natale et le Tessin. Un beau récit qui traite du déracinement, de l’émigration et de la mémoire. Le narrateur est un homme qui va mourir, il vit enfermé dans sa chambre et se souvient de son fils, mort autrefois d’une leucémie à cinq ans et qu’il est allé enterrer en Sicile. Un homme qui a quitté la Sicile pour le Tessin, qui y a trouvé l’amour et a épousé la femme de sa vie, malgré le désaccord des parents de celle-ci. Une femme qui l’a quitté puis est revenue, mais n’est plus vraiment là.

Lors des vacances d’été, chaque année, c’est le retour au pays, la Sicile, la mer, les vieilles maisons, la famille. Une famille qui vieillit, disparaît petit à petit, un membre en moins chaque année, ce qui donne ces "baisers à ne pas renouveler".
Progressivement, cet homme qui jadis adora son épouse tessinoise, s’est éloigné d’elle, a comblé sa vie de solitude et a perdu toute étincelle dans le regard.
Notre narrateur n’arrive pas à oublier son pays natal (mais le faut-il vraiment ?) ; cela provoque en lui une déchirure grandissante dont il essaie d’atténuer la douleur en vivant comme un reclus dans le mutisme. Un homme qui souffre également de la mentalité moins chaleureuse de la Suisse. A ce sujet, je trouve que Di Stefano décrit très bien (certainement pour l’avoir vécu) la froideur que l’on ressent devant le salut à la Suisse qu’on se fait entre voisins, un peu partout. Un salut cordial, poli, aimable et tout ce qu’on veut mais terriblement froid.

Di Stefano mélange habilement dans son récit le passé et le présent, grâce aux souvenirs familiaux, aux voyages siciliens, à toutes ces lettres que l’homme, fils dévoué, a envoyé pendant de nombreuses années à ses parents restés au pays. Une correspondance remplie de mensonges, où l’homme raconte que tout va bien, que le Tessin est formidable et qu’il ne regrette rien. Alors que de plus en plus au fils des ans, cette situation s’avère complètement fausse. Un roman triste et humain, l’histoire d’un homme qui ne se sent bien nulle part car plus vraiment chez lui à aucun endroit. Avec au terme de l’agonie, le retour vers la terre de toujours, un retour aux sources en quelque sorte, même si ce sera le dernier.

"Je me demande : pourquoi est-elle revenue interrompre ma solitude ? Fouiller dans les tiroirs de la vieille commode, relire, dans les lettres que j'ai conservées jalousement, les années que j'ai vécues en étranger, enfermé dans cet appartement au plafond bas, à attendre. Attendre quoi ? Qu'elle revienne ? Ou bien que moi, je retourne dans mon pays ? Ou bien, plus simplement, attendre que l'attente consume mon temps ?"