Les Romanov 1613 - 1918
de Simon Montefiore

critiqué par Colen8, le 2 juin 2017
( - 82 ans)


La note:  étoiles
Autocrates et guerriers
L’extinction de la dynastie d’Ivan IV le Terrible a fait passer la souveraineté légitime de la Russie à la descendance vite éteinte de son épouse née Romanov et ensuite non sans troubles violents, au petit-neveu de celle-ci devenu le tsar Michel Ier en 1613. Comme le souligne l’auteur, des ouvrages de référence sur les Romanov existent déjà. Lui a introduit dans son récit des anecdotes plus intimes avec des citations inédites de mémoires et de correspondances privées. Il s’étend sur la vie de cour, ses mœurs dissolues, la corruption, les trahisons punies de châtiments d’une barbarie extrême. Sa présentation a été conçue pour s’y retrouver au mieux parmi les innombrables acteurs de cette histoire pour le moins touffue, grâce à un découpage façon théâtre en actes, puis en scènes précédées à chaque fois des noms des protagonistes, complétée par des tableaux généalogiques pour chacun des trois siècles concernés et d’une carte illustrant les différentes phases d’expansion.
Une première lecture, géopolitique, montre les conquêtes constantes des Romanov successifs jusqu’à devenir le plus vaste empire territorial du continent. Vers le Nord ils ont gagné un accès à la mer Baltique en chassant les puissants états de la place, Suède, Pologne-Lituanie, Danemark. Vers l’Est ils ont occupé la Sibérie quasiment vide jusqu’à l’Alaska vendu plus tard aux Etats-Unis. Vers le Sud Est et le Sud ils ont cherché l’ouverture sur la Mer Noire et pris la défense de l’orthodoxie chrétienne face aux mahométans comme prétexte des conflits en direction du Caucase, de la Crimée, de la Perse et de l’empire ottoman. Vers l’Ouest une politique matrimoniale a permis de retrouver des points d’ancrage ici et là, d’exercer une hégémonie sur l’Ukraine et la Biélorussie, d’éliminer la menace catholique par le dépeçage de la Pologne, de s’ériger en protecteur des orthodoxes dans les Balkans. Au XVIIIe siècle et par la suite, le concert des puissances européennes voyant un rival dans cet empire s’est efforcé de le contenir par de nouvelles guerres, et réciproquement. Les combats dans les zones d’influence respectives se sont ainsi perpétués au fil des siècles jusqu’à s’adjuger la Mandchourie afin d’affaiblir la Chine, et s’opposer aux britanniques soucieux de défendre la route des Indes. Les signes du premier conflit mondial sont en germe longtemps à l’avance quand on fait le lien sur le sol européen avec les idées révolutionnaires de la France véhiculées par les armées napoléoniennes, avec l’affaiblissement de l’Autriche, avec la montée en puissance de la Prusse jusqu’à l’unification impériale de l’Allemagne.
La seconde lecture concerne la politique intérieure. Des successions compliquées parfois accompagnées d’assassinats préventifs contre un fils, un époux, un père, pour conserver ou conquérir le pouvoir, ne favorisent pas les tentatives de certains tsars et impératrices à engager les réformes culturelles, sociales, économiques visant à rattraper l’avance occidentale et sa supériorité en matière d’armement. Les atermoiements du pouvoir joints à la volonté réactionnaire de la noblesse nationaliste et slavophile n’ont pas permis à une société civile de se constituer et d’apprendre d’autres règles que celles de la violence. Le servage paysan qui fait vivre le pays finit par être aboli, mais trop tard. L’antisémitisme agressif qui fait émigrer des centaines de milliers de juifs, la persécution des minorités, la répression sévère des mouvements révolutionnaires, des soulèvements locaux, des attentats terroristes ponctuent le règne du dernier tsar, Nicolas II qui se révèle encore plus inapte à gouverner que ses prédécesseurs. Quand la révolution bolchevique met fin au régime puis décrète l’extermination de la famille impériale l’esprit de révolte s’est incrusté depuis des décennies avec parfois la complicité des proches du pouvoir. En 2017, année du centenaire de la fin pathétique de la dynastie Romanov, on est en droit de s’interroger sur ce qui a réellement changé.