Les solitaires
de Tim Lane

critiqué par Blue Boy, le 27 mai 2017
(Saint-Denis - - ans)


La note:  étoiles
Loosers and co
Freaks, gangsters, hobos, hell’s angels, junkies… Avec cet imposant recueil d’histoires courtes, Tim Lane explore le côté obscur de la mythologie américaine contemporaine de façon très personnelle, avec un trait faisant explicitement référence au cinéma américain et à la pop culture des années 40-50.

Avec cette seconde publication d’un auteur quasi inconnu, tout s’annonçait très bien à en juger par l’ « emballage » : un gros pavé dodu comme on les aime, une couverture, très soyeuse au toucher, représentant un type au look de gangster à la fois cynique et mystérieux. En feuilletant l’ouvrage, on découvre un graphisme orienté « pop-culture » qui évoque d’emblée Charles Burns, un univers en noir et blanc violent, tourmenté, fascinant... MIAM, ça sent le chef d’œuvre ! se dit-on avec gourmandise. On soupèse de nouveau l’objet, on le caresse, ce qui a pour effet de libérer immédiatement dans notre cerveau des vagues de dopamine rien qu’à l’idée de s’y plonger…

C’est alors, qu’avec une fébrilité empreinte de solennité, on attaque les premières pages. Après une introduction en guise de mise en bouche, poème désabusé et envoûtant, invitation au voyage sur les chemins solitaires de la condition humaine, la deuxième histoire débute dans l’Amérique en crise des années 1920, où un gamin fugueur, embarquant clandestinement à bord d’un train de marchandises, va être confronté à la violence d’autres passagers, laissés-pour-compte d’un système implacable. Ce thème du « hobo ferroviaire » reviendra d’ailleurs tel un leitmotiv tout au long de l’ouvrage. Et c’est là que tout se complique. Le lecteur ayant eu à peine le temps de s’intéresser aux personnages qu’au bout de neuf pages, le récit s’achève de façon abrupte, enchaînant sur deux pastiches de vieilles réclames dont on saisit mal le message, puis un strip en micro-cases ironisant sur les valeurs familiales, un autre en lecture rotative à 90° juxtaposant la peur du vide et une icône de la culture populaire américaine. On arrive ensuite à une page qu’il faudra déplier (de nouveau en lecture rotative) pour accéder à une pseudo-fiche technique sur la Harley Davidson, autre emblème de la mythologie yankee, encombrée d’une pléthore de textes et de phylactères d’un intérêt douteux… En dehors de l’aspect extrêmement pratique ( !), cet assemblage incohérent fait bien vite poindre une désillusion qui n’aura de cesse de s’amplifier au fil des pages.

Poèmes et récits (parfois) illustrés viendront également émailler cet objet polymorphe, qui, s’il doit être envisagé comme un recueil, se révèle au final un long pensum hybride et indigeste au lieu du chef d’œuvre attendu, risquant fort de tomber des mains de la plupart. Quand la déception est à ce point à la hauteur des espoirs, on a envie d’être encore plus sévère. Sous prétexte de poésie honorant le mythe du clochard céleste et par extension du looser kerouacien, peut-on s’autoriser à produire n’importe quoi ? La réponse est évidemment dans la question. Avec « Les Solitaires », Tim Lane semble n’avoir opté que pour la forme pour séduire, car il faut insister sur ce point, le dessin est de haute tenue dans sa tournure sombre et fiévreuse. Mais trop rarement la narration parvient à captiver, et lorsque c’est le cas, on est déjà passé à autre chose, de façon totalement incongrue. Gageons que l’auteur, dont le talent d’artiste du neuvième art est incontestable graphiquement parlant, nous propose la prochaine fois un vrai (et long) scénario de qualité.