De bois debout
de Jean-François Caron

critiqué par Libris québécis, le 16 mai 2017
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Le Discours du père muet
Près de Montmagny, la principale ville du canton de la Côte-Sud, se dresse Paris-sur-Bois, un village fictif habité par du « vrai monde », comme l'a défini Michel Tremblay dans sa pièce ainsi intitulée. Comme on disait dans le temps, le vrai monde travaille au pic et à pelle à la sueur de son front pour un salaire de crève-faim. C'est l'adage qui avait cours dans le Québec d'avant l'ère industrielle et informatisée. André, le père du héros, avertit bien son fils Alexandre que « la vie, c'est pas dans les livres ». Il faut se rendre utile en se mettant au service d'autrui.

André est un modèle du genre. Il peut parer un tas d'inconvénients. Pour sa débrouillardise, la population l'a surnommé Broche-à-foin, fil de fer au Québec qui peut servir en cas de dépannage. Le maire du village peut compter sur lui pour toutes les corvées, voire surtout quand ça sent le brasse-camarade. Incendie, maladie de sa femme qui se meurt d'un cancer, il se déclare présent. La bougeotte le pousse à l'oubli de soi jusqu'à ce qu'un policier l'abatte par erreur sous les yeux d'Alexandre, un prénom en symbiose orthographique avec celui du géniteur. Le père et le fils forment un tandem inséparable même si rien ne les prédispose à s'entendre. Leur quotidien est voilé par le silence. « Tu te tais et tu apprends », telle est la devise qu'André impose à son rejeton qui le suit dans toutes ses activités. Mais cette incapacité à dire les choses essentielles n'empêche pas le père d'être à sa manière une sorte de livre qui couvre l'ensemble de l'humanité. Alexandre s'applique à saisir ses leçons cabalistiques qui le renseigneront peut-être sur la voie à suivre. Même mort, un arbre peut rester longtemps debout et servir de repère à ceux qui sont en quête de vérité. D'où le titre du roman De bois debout.

À travers l'œuvre, on sent qu'une éducation s'accroche aux liens de l'entourage. Ensemble on tisse son cocon. Tison, défiguré lors d'un incendie, connaît quand même l'amour; l'Ours, comme libraire, initie Alexandre à la littérature. Nul n'est une île. Chacun est une bouée de sauvetage pour autrui. C'est une œuvre tendue entre la nature sauvage et des hommes muets qui suspectent les sentiments, soi-disant malsains, qu'engendre l'imprimé en les éloignant de leur vraie nature. L'auteur parvient à démontrer éloquemment que la vie de l'esprit se donne en appui à toute existence. Toute communion est possible parce que tous subissent l'universalité des contrecoups de la tragédie humaine.

Jean-François Caron n'explore pas uniquement l'âme de son protagoniste. Il nage aussi vers l'amont de personnages qui ont contribué à leur insu à l'érection de la personnalité du héros. La narration ne les lance pas dans le vif de l'action. Chacun indique aux lecteurs comment le passé explique son présent. Et en aparté, comme au théâtre, les acteurs des drames qui sont racontés expriment ce qu'ils pensent de ce qu'ils ont vécu. Procédé inusitée en art romanesque.

C'est une œuvre originale qui se sort des ornières narratives en détruisant l'archétype paternel véhiculé par notre littérature. Aujourd'hui, on dénigre le père absent. Autrefois, on se décourageait de son mutisme. Heureusement, le héros comprend l'éloquence silencieuse de son géniteur. Tel père, tel fils, peut-être. Mais sous une autre aura. Bref, c'est beau, voire touchant, parfois fleur bleue et redondant.