L'enfant qui
de Jeanne Benameur

critiqué par Killing79, le 15 mai 2017
(Chamalieres - 44 ans)


La note:  étoiles
L'imaginaire au service des sentiments
Trois trajectoires, trois personnages mis en mouvement par la disparition d'une femme, à la fois énigme et clé. L'enfant marche dans la forêt, adossé à l'absence de sa mère. Il apprend peu à peu à porter son héritage de mystère et de liberté. Avec un chien pour guide, il découvre des lieux inconnus. A chaque lieu, une expérience nouvelle. Jusqu'à la maison de l'à-pic. Le père, menuisier du village, délaisse le chemin familier du Café à la maison vide. En quête d'une autre forme d'affranchissement, il cherche à délivrer son corps des rets du désir et de la mémoire. Et puis il y a la grand-mère, qui fait la tournée des fermes voisines, dont le parcours encercle et embrasse le passé comme les possibles. Porté par la puissance de l'imaginaire, L'Enfant qui raconte l'invention de soi, et se déploie, sensuel et concret, en osmose avec le paysage et les élans des corps, pour mieux tutoyer l'envol.

Mon avis: Un livre de Jeanne Benameur trônait déjà dans ma bibliothèque. Mais mon planning de lecture surchargé ne m’avait pas permis d’aller à la rencontre de cette auteure dont beaucoup de lecteurs vantaient la plume d’exception. J’ai profité de la venue de ce petit « L’enfant qui » pour enfin remédier à cette lacune.

Au vu de la taille de l’ouvrage, je ne m’attendais pas à un scénario poussé ou à des héros approfondis. Et en effet, la qualité première de ce texte se trouve dans le contenu même des phrases. L’écriture de Jeanne Benameur est d’une grande beauté. La poésie est présente dans toutes les tournures. Chaque paragraphe apporte son lot de magie et permet de dégager des sentiments. Emporté par ce phrasé, le lecteur est happé par les émotions des protagonistes. On ressent alors avec force le manque et la tristesse qu’entraîne l’absence d’un être cher. On habite les personnages et on vit avec eux tous leurs troubles et leurs questionnements.

Le style littéraire de Jeanne Benameur est assurément à découvrir parce qu’il dégage un lyrisme envoutant. J’ai pris beaucoup de plaisir à entrer dans son monde imaginaire et à m’émerveiller devant l’élégance de son écriture. Je reprocherais simplement à cet ouvrage son format trop court à mon avis. Même si on peut parfois concentrer un récit puissant dans peu de pages, il manque à celui-ci un brin de densité pour marquer les esprits.

Ma première expérience avec cette auteure restera comme une friandise poétique qui explose en bouche mais dont le goût ne dure pas assez longtemps. D’autres lectures de son œuvre seront donc nécessaires afin confirmer la belle sensation que m’a procuré brièvement cet écrit.

Des phrases et des mots 4 étoiles

Les deux critiques précédentes ont suffisamment bien exprimé l'admiration qui peut être portée à ce livre pour que je puisse émettre un avis contraire. La situation décrite est assez courante: un homme rencontre une femme, lui porte un amour fou, ils font un enfant, puis la femme disparaît (ici la raison avancée est qu'elle est une Rom). Rien de très extraordinaire.Sur ce sujet l'auteur bâtit un texte que l'on peut dénommer poétique, fait de phrases plus ou moins évocatrices: au hasard page 52 "Les images floues de la nuit reviennent et t'enveloppent. De leurs couleurs indistinctes tu es vêtu". Cette manière d'écrire m'ennuie profondément et je vais tenter d'expliquer pourquoi. Ces phrases et ces mots ne me paraissent pas approfondir la réflexion sur la situation décrite ni sur la psychologie des personnages. Ils l'entourent d'une gangue qui finit par masquer le sens. Il m'est arrivé plusieurs fois au cours de la lecture d'imaginer des paragraphes qui me paraissaient utiles pour expliciter la situation et suggérer sentiments et évolutions. Je m'aperçois que je suis réticent devant cette phraséologie de professeur de français ( ou agrégée de grammaire ou de lettres modernes ou de philosophie ou....) qui n'ont finalement rien à dire sur un sujet et masquent leur inanité sous une subtile utilisation de la langue. Bien sûr on trouve çà et là une belle formule, une phrase qui retient l'attention, mais cela ne fait pas un livre. Au final d'ailleurs.je ne trouve pas le style de l'auteur si étonnant. L'accumulation des mots et des images va à l'encontre d'un sens possible.

Falgo - Lentilly - 84 ans - 7 avril 2019


« Tu es seul comme quelqu'un peut l'être dans un tableau  » 8 étoiles

Un enfant qui se plaît à errer dans la forêt là où sa mère a peut-être disparu, son père menuisier hanté par le souvenir des étreintes avec sa femme et qui noie son chagrin dans le travail et dans l'alcool, une grand mère qui s'est toujours méfiée de sa bru: trois personnages dont la vie est brisée par la fuite de la mère : une Rom diseuse de bonne aventure entrée brusquement dans leur vie et disparue un jour sans explication.

Un roman ? Plutôt un conte onirique où s'abolissent les frontières entre réel et imaginaire.

Dans une sorte de mélopée incantatoire adressée à l'enfant, Jeanne Benameur l'accompagne dans le parcours où il oublie le quotidien « ton oreille, lavée de toutes les paroles, perçoit les frôlements, les bruissements furtifs, les glissements d'ombre." Elle l'imagine hanté par quelques images-souvenirs d'un paradis perdu « Elle tournoyait. Ta mère tournoie toujours derrière tes paupières », arpentant inlassablement un univers végétal à la recherche d' hypothétiques traces, avec pour seule compagnie celle d'un chien inconnu, et découvrant comme dans un rêve une maison abandonnée « en sommeil,rongée par le temps » présentant les vestiges d'une vie familiale.

Dans cette prose poétique fluide et envoûtante, pleine d'empathie, Jeanne Benameur suit le parcours de l'enfant, le réconforte « tant que les mères marchent auprès de nous, nous n'avons pas à nous soucier de la route. Nous marchons dans l'innocence de notre propre pas », parfois s'identifiant à lui et épousant sa solitude. « Reste immobile, n’aie pas peur du gouffre. Le temps va passer.Tu es seul comme peut l’être quelqu’un dans un tableau »

Comme le suggère le titre incomplet et mystérieux, un ouvrage plein de sensibilité, un ouvrage tout en ellipses et en retenue, à lire lentement pour se laisser imprégner par l'émotion et vivre la solitude de l'être abandonné.

« On sait qu'on peut sentir dans l'air du matin le souffle doux de ceux que nous aimons, même s'ils sont morts, même si plus jamais . Cela nous appartient et reste secret »

Alma - - - ans - 24 juillet 2017