Journal intégral
de Jean-Luc Barré, Matthieu Galey

critiqué par Poet75, le 11 mai 2017
(Paris - 67 ans)


La note:  étoiles
Journal intégral
Réédité dans son intégralité par Robert Laffont dans sa collection « Bouquins », le « Journal » de Matthieu Galey, qui fut critique littéraire et théâtral et participa, entre autres, à l'émission « Le Masque et la Plume », est considéré par certains commentateurs comme un exemple du genre, ce qui, à mes yeux, je dois le dire, puisque j'ai pris la peine de le lire, me paraît, en grande partie, exagéré. Comparé à ses illustres modèles (les « Journaux » des Frères Goncourt, de Jules Renard, de Léon Bloy ou encore de Julien Green que je considère comme un chef d'oeuvre), l'ouvrage de Matthieu Galey me laisse l'impression de quelque chose de mineur, d'un ensemble de notes qui, même proposées dans leur intégralité, c'est-à-dire avec l'adjonction de passages qui avaient été censurés lors des éditions précédentes parce que jugés trop « sulfureux » probablement, semblent presque toujours ne privilégier, dans les événements qu'il rapporte, que ce qui est anecdotique.
Il ne suffit pas de croiser, au fil des pages, de ce « Journal », quelques-unes des personnalités littéraires, artistiques et politiques des années 1950-1980 pour susciter l'intérêt du lecteur de 2017. Ce que Matthieu Galey raconte, ce ne sont, le plus souvent, que des petites histoires sans importance ou des collections de bons mots qui n'ont la faculté que de libérer chez le lecteur un léger sourire puis de disparaître comme des bulles de savon qui éclatent et dont il ne reste rien. D'ailleurs, un bon nombre des personnages dont il est question dans ces pages ont déjà sombré dans les trappes de nos oublieuses mémoires. D'autres, certes, nous sont encore connus (Cocteau, Gide, Aragon, Sartre, Mitterrand, parmi d'autres), mais, je le répète, ce que Matthieu Galey écrit à leur sujet ne suscite déjà plus qu'un intérêt très relatif. Pour ma part, en tout cas, je n'ai rien trouvé de très mémorable dans ces pages. On se délecte, certes, de temps à autre, d'une petite formule assassine, d'une description dépourvue de la moindre flatterie, de quelques méchancetés aussi finaudes que légitimes (ah ! Les sombres combines et cuisines littéraires autour du Prix Goncourt, un prix décidément totalement surfait!), mais rien dans tout cela qui ait la capacité de provoquer autre chose qu'un relèvement de sourcils... et l'on passe à autre chose.
Le premier quart de l'ouvrage m'a paru particulièrement décourageant au point que j'ai failli en abandonner la lecture en cours de route. Pourquoi ? Parce qu'il est encombré d'une amitié littéraire du Matthieu Galey des débuts, celle de Jacques Chardonne. Omniprésent, l'auteur de « L'épithalame » apparaît comme une personnalité agaçante, un homme suffisant, imbu de lui-même, déplaisant. Au point que, je l'avoue, c'est avec soulagement que j'ai vu disparaître son nom des pages du « Journal » en même temps que sa mort en 1968. Les pages qui suivent, délestées de cet encombrant personnage, gagnent aussitôt en intérêt sans être cependant palpitantes, Matthieu Galey restant quelqu'un d'assez superficiel. Jacques Chardonne évaporé, le « Journal » n'en paraît pas moins assez fastidieux, égrenant pas exemple, de manière lassante, les émois et les conquêtes sexuels de son auteur. Il n'y a pas de quoi s'en offusquer, Dieu merci nous n'en sommes plus là, mais il reste, qu'on le veuille ou non, qu'il n'y a rien de plus rébarbatif ni de plus lassant que de lire, page après page, des récits de cet ordre. Il faut s'appeler Mozart et Da Ponte pour rendre attrayant un catalogue de conquêtes d'ordre sexuel ! Chez Matthieu Galey par contre, ces récits répétitifs et monotones n'engendrent que lassitude dans l'esprit du lecteur !
Dans une des dernières notes du « Journal », écrite le 27 août 1985, alors qu'il vient de relire des pages qu'il a écrites 25 ans plus tôt, c'est Matthieu Galey lui-même qui, avec lucidité, détaille sa propre superficialité : « La figure que j'y fais ne me plaît guère, sot, vaniteux, frivole, coureur, snob, méprisant... ». On ne peut mieux dire ! D'autant plus que, lorsqu'il écrit cela, la teneur du « Journal » a changé et l'auteur lui-même n'est plus tout à fait le même. Le dernier quart de l'ouvrage, en effet, est de loin le plus intéressant. Le ton change, passant de la frivolité à une profondeur et une intensité dont il était jusque là quasi dépourvu. Rien de pesant cependant, Matthieu Galey gardant jusqu'au bout, jusque dans l'épreuve de la maladie, une sorte de détachement et d'ironie teintée d'humour subtil qui étonnent et émeuvent. Les dernières années de sa vie, marquées par l'atteinte d'une maladie dégénérative incurable (la maladie de Charcot), ont manifestement transformé l'homme, et le « Journal » s'en ressent, offrant tout à coup des notes et des phrases qui vont droit au cœur et qu'on souhaite retenir, alors que rien de ce qui précédait n'était vraiment mémorable. Ainsi, le 21 mars 1984, se référant au titre d'un ouvrage de Julien Green, il écrit : « Oui, je sais à présent que je suis un voyageur sur la terre, un touriste, que tout passionne et intéresse, parce que son séjour est bref, et qu'il ne reviendra plus. » Jusqu'au bout, en effet, même lorsque la maladie l'a rendu quasi impotent, on le devine curieux de tout, de la vie, du monde et de sa propre mort annoncée. Jusqu'à la dernière note du « Journal », écrite le 23 février 1986, sobre, belle et intrigante : « Dernière vision : il neige. Immaculée assomption. »