Winter is coming
de Pierre Jourde

critiqué par Lobe, le 27 mai 2017
(Vaud - 29 ans)


La note:  étoiles
Fade away
Fade away, sans que cela une seule seconde ne dise que ce livre est fade. Non ! Comment le pourrait-il alors qu’il émane d’une déchirure immense, qu’il met en mots la perte et la béance ?

L’hiver du titre est celui qui est venu se poser sur un fils, sous la forme d’une version vicieuse de cancer, dont les pronostics sont en général peau de chagrin. Pour le lecteur le dénouement qui se profile, sans suspense mais non sans émotion, encrasse le cœur page après page. Mais le mal est plus dense encore pour le père, l’écrivain Pierre Jourde, seul avec sa capacité d’écriture dans ces jours de pierre. Alors l’écriture s’offre comme un remède ambivalent, dans lequel il questionne le déchirement, la nature de ce qui se joue à la mort de l’enfant prodigue*, au terme d’un parcours dans l’institution médicale et ceux qui l’incarnent (la désincarnent). Par l’écrit, surtout, il met en mots la façon dont la douleur quand elle surgit semble venir de bien plus loin, semble avoir toujours déjà été prise dans le corps des choses, dans le déroulé des actes. Comment le passé devient signifiant au regard d’elle.

Et le lecteur troublé de lire cela, de lire le père pas modèle, le père qui vocifère, écrire si bellement sur son fils, écrire aussi sur le talent de son fils, sur ce qui se perd avec ce fil sectionné. Le lecteur se sent un peu voyeur, un peu plus que d’habitude. C’est comme si… comme si en lisant, il contribuait à ce que l’artiste* ne meure pas vraiment, comme s’il entrait dans la chaine des hommes qui pouvaient le porter et le faire vivre en lui gardant la tête hors de l’eau de l’oubli. J'y prendrai garde.

*Gabriel Jourde a composé de captivantes mélopées électroniques sous le nom de Kid Atlaas. Requiescat in pace, alas.
L'impossible renoncement 7 étoiles

« Dire que je n’ai jamais été capable de lire les romans qui parlent de la mort de l’enfant » : je partage cette réticence avec l’auteur. En effet pourquoi s’exposer à la plus terrible des peurs d’un père ou d’une mère. Mais j’ai eu l’occasion d’apprécier l’écriture de Pierre Jourde et l’extrait du quatrième de couverture m’a un peu secoué. Assez pour me décider à affronter la mort annoncée de Gabriel, fils de l’auteur, âgé de 19 ans, à l’avenir dont les promesses ne seront jamais tenues.

Difficile de critiquer un récit dont le thème est si personnel et si insupportable. L’arrivée d’un enfant change une vie. Qu’en est-il de sa perte ? Il est surtout question ici des derniers mois de la maladie de Gabriel. Des passages obligés de la colère, du déni, de l’espoir. De l’accompagnement. De ces derniers instants où l’on peut encore se dire les mots qui comptent.

Ce que j’en ai retenu outre la douleur d’un père c’est ce malentendu constant entre les médecins et la famille. Car le corps médical ne sait pas tout, ne dit pas tout, et lorsqu’il se prononce ne le fait pas clairement et parfois se contredit. Ouvrant grand le champ des interprétations et donc de l’espoir. Mais quel autre choix que l’espoir ? De son côté la famille n’écoute pas tout, ne comprend pas tout, n’accepte pas tout. Une équation impossible comme celle d’un enfant « qui a été » et « qui n’est plus ».

Un témoignage fort d’une horreur du quotidien. Un témoignage lourd dans ses échos.

Elko - Niort - 47 ans - 23 août 2017