Seuls
de Laurent Mauvignier

critiqué par Bluewitch, le 21 avril 2004
(Charleroi - 45 ans)


La note:  étoiles
Rage et déliquescence
Tony aime Pauline depuis toujours. Mais c’est lui la bête et, elle, la belle. Comment associer ses cheveux gras à cette chevelure rousse ? Les lunettes sales au regard troublant ? Les dents jaunes au sourire perlé ?
Vivre, supporter un amour à contresens. Désirer sans assouvir, espérer sans être satisfait, voir pour mieux s’aveugler. C’est son dû, son fardeau. La regarder aimer d’autres hommes, l’écouter perdre ces faux amours, la soutenir quand elle vomit sa déprime et son alcool. C’était son quotidien lorsqu’ils étaient étudiants et habitaient ensemble. C’est ce qu’il espère oublier lorsqu’elle revient, après des années de séparation, loger chez lui se recoudre d’une rupture, avant une nouvelle vie dans un nouvel appartement.

C’est l’illusion du couple qu’il se donne, dont il se charme. L’espoir qu’elle devinera ce qu’il met tant d’effort à cacher : cette passion destructrice qui le ronge et l’anéantit à chaque respiration. Elle ne voit rien, ne comprend rien, ne ressent rien.

Cette illusion a besoin d’une fin : le déménagement de l’une et la disparition de l’autre. Cette dernière sera la déclenchement des révélations. Celles du père de Tony qui nous transmet les confessions de son fils, à qui jamais il n’a pu parler, qu’il n’a jamais pu écouter jusqu’à ce qu’il vienne tout raconter de Pauline et des ravages qu’elle a laissés en lui. Cette existence vide de sens à laquelle s’accroche ce vieil homme tout prêt à détester celle qui fit souffrir son fils mais qui semble être la seule à pouvoir l’aider à le retrouver.

Jusqu’à ce que la parole soit donnée à celui qui est aimé de Pauline et l’aime en retour. Et qu’une autre vérité soit dite…

Crescendo d’anéantissement, d’insolvabilité, d’irrésolution. Laurent Mauvignier écrit une douleur, une réalité, un besoin amplifié et dévastateur d’existence. Il aiguise le mal-être de ses personnages, laissant une rage non-dite percer dans ces creux d’incompréhension où ils sont tous engoncés. Un roman fort dont le malaise ne cesse de croître. La frustration d’une existence sans bonheur, où chacun se retrouve… seul.
Déçue.. 6 étoiles

Ce n’est pas mon premier Laurent Mauvignier, mais celui-ci m’a dérangée. L’écriture est toujours là, mais l’histoire ne m’a pas plu du tout.

Une amitié entre étudiants qui partagent le même appartement, qui se perdent de vue et qui se retrouvent, le temps que Pauline se déniche un emploi, un appartement. Le hic, c’est que Tony est fou amoureux de Pauline et qu’elle le considère comme son frère, son ami..

Dans la première partie du roman, on assiste à tous les états d’âme de Tony face à Pauline qui vit à nouveau chez lui. Ensuite, tout bascule à partir du moment où, contente, elle trouve boulot et appart. Elle se vêt de sa plus belle robe et invite Tony, son meilleur ami au restaurant pour fêter l’événement.
« elle portait la robe rouge des grands soirs.. (..) Une de ces robes dont le tissu est doux rien qu’au regard qu’on porte dessus. (..) Et soudain il s’est trouvé ridicule et nu avec les baskets aux talons rabotés, son pantalon aux poches arrière déchirées. Lui, idiot aussi parce qu’il n’était pas rasé et que sa peau avait froid-soudain sans savoir pourquoi elle s’est mise à frissonner sa peau.. »

Leur relation ne sera plus la même et Tony pète un câble.. Il ne rentre plus chez lui, laisse crever son chat, oublie son sac chez son père, ne se rend plus au travail, coupe son téléphone, erre dans les rues, puis disparait…
Je n’en dirai pas plus pour ne pas dévoiler l’intrigue

Darius - Bruxelles - - ans - 3 janvier 2020


Ne jamais rester seul 7 étoiles

Galerie hétéroclite de portraits, de paumés, d'égarés de la vie, brillamment mis en lumière par Laurent Mauvignier. Ce ne sont pas des antihéros, ce sont simplement des gens à qui la vie ne réussit pas tout le temps, cela ne les empêche pas de nourrir de grands espoirs et d'être, pour certains, dotés d'une formidable énergie de combattant. Combattre, oui, mais quoi ? L'adversité, le blues, le chagrin? Oui tout ça et plus encore. Comme Tony, l'ami de Pauline, amoureux fou qui ne se déclare pas, qui la regarde partir puis revenir, luttant contre ses envies et ses démons. Mauvignier réussit un tour de maître en nous faisant entrer dans les pensées de son personnage, on a l'impression de déambuler sur les chemins de son âme. Et en même temps de l'encourager, de le pousser à continuer. Il y a un réel appel à l'aide lancé au lecteur, de manière si forte et si discrète à la fois, c'est étonnant. Le héros ne doit pas s'enfuir, il faut l'en empêcher mais est-ce possible ? La détresse est là, elle attend au coin de la rue, ça ne peut que faire mal. Et c'est un père qui hurle, qui nous raconte, qui exige des explications, qui nous prend à témoin. On ne peut rester de marbre.

Sahkti - Genève - 50 ans - 19 février 2006