Proies faciles
de Miguel-Angel Prado

critiqué par Blue Boy, le 15 avril 2017
(Saint-Denis - - ans)


La note:  étoiles
Meurtres indignés
En 2007, la crise financière avait provoqué un désastre socio-économique en Espagne, broyant les citoyens mais enrichissant de millions d’euros les plus cyniques. Six ans après, une série de meurtres est commise, semblant tous porter la marque de la vengeance contre les responsables de cette crise. L’enquête révélera que la violence ne vient pas forcément d’où on l’attend…

Dans un contexte international où l’économie et la sacro-sainte finance semblent toujours primer sur le bien-être de l’humanité, ce polar social est une pierre de plus dans le jardin des cyniques et des puissants. Car il faut rappeler ce constat alarmant martelé par le fameux mouvement des Indignés : 1 % de la population mondiale possède davantage que les 99 % restants ! Et le mouvement ne fait que s’accélérer ! Citoyen espagnol, Miguelanxo Prado a déversé sa légitime révolte dans cette fiction qui d’une certaine manière vient venger toutes les victimes de la gigantesque arnaque immobilière qui avait entraîné l’expulsion de leur logement une grande partie de ses concitoyens.

L’histoire est menée à la façon d’une enquête policière ordinaire : meurtres en série, interrogatoires des suspects, fausses pistes et prises de têtes, jusqu’à l’aveu du coupable lui-même, au-dessus de tout soupçon. Tous les codes de la série policière sont quasiment respectés, avec comme personnages principaux un duo de flics, l’inspectrice en chef assistée de son fidèle collaborateur, liés tous deux par un rapport quelque peu ambigu où le jeu de la séduction interfère parfois avec la stricte rigueur professionnelle…

Malheureusement, malgré l’irruption d’un sujet d’actualité hautement passionnant, le récit pêche par une volonté de trop coller au genre et perd son impact en oubliant de ménager ses effets. On est à peine surpris lorsque le coupable vient se livrer de lui-même aux inspecteurs, c’est dire... On sent pourtant bien la sincérité et la révolte de l’auteur qui se retrouvent dans les aveux du meurtrier, et on se prend d’empathie pour lui. Mais ces confidences arrivent un peu tard car pendant les premiers trois-quarts du livre, le lecteur aura été noyé dans des détails plus ou moins anecdotiques liés à l’enquête, avec trop peu de respirations, et in fine c’est l’ennui qui prend le dessus. Un peu à l’image du dessin à la fois réaliste et expressif, quasi maintenu dans son crayonné matriciel, ce qui est loin d’être déplaisant mais ne fait que renforcer cette impression de grisaille narrative. Pour autant, ce n’est pas mauvais, tant s’en faut, mais alléché par un tel pitch, on pouvait s’attendre à quelque chose de beaucoup plus marquant, de plus percutant.

Extrait p.87-88 : Dialogue entre Monsieur Vilar et l’inspectrice :
« Quand le système cesse de remplir ses fonctions, quand il laisse ses citoyens sans protection et qu’il permet les expulsions en les justifiant avec son baratin de bon vendeur, alors il perd sa légitimité. Ce à quoi nous aspirons n’est pas de détruire le système… C’est de l’obliger à assumer ses responsabilités.
- Je ne suis pas conservatrice, Monsieur Vilar, mais moi aussi je défends l’ordre et le système. J’entends votre douleur, votre indignation, votre colère… Je les comprends, sincèrement… Mais je ne peux pas croire que la solution soit que chacun « exécute » son interprétation personnelle de la justice…
- Parce que vous avez la vie, le temps devant vous, inspectrice Tabares, nous, non. Nous ne voulons pas nous en aller avec cette profonde amertume de voir comment le système bafoue les vieux. Il considère que nous sommes inutiles, coupables de la faillite du système des retraites et de la couverture sociale parce que nous ne mourons pas assez tôt ! Que nous méritons qu’ils nous volent nos économies pour le bénéfice, non de la collectivité, mais de quelques entreprises privées parasites et de leurs actionnaires ! Cela entraîne la rupture du contrat social, et la mort de personnes désespérées, dépouillées de tout ce qu’elles avaient gagné honnêtement après une vie d’efforts. »