Shadrak dans la fournaise
de Robert Silverberg

critiqué par Bookivore, le 25 mars 2017
(MENUCOURT - 41 ans)


La note:  étoiles
Le plus grand roman de son auteur ?
Robert Silverberg est un des écrivains de SF les plus : prolifiques ; connus ; cultes ; talentueux qui soient. Je n'ose vous citer ici, en partie parce que je n'en connais pas la réponse exacte, le nombre de romans qu'il a publiés depuis son premier (écrit aux alentours de 1954, il n'avait alors que 19 ans). Sans parler des nouvelles. Bon nombre de ses romans font partie des grands classiques du genre, comme "Les Profondeurs De La Terre" (sa version toute personnelle du "Au Cœur Des Ténèbres" de Joseph Conrad), "Les Monades Urbaines", "Le Temps Des Changements" (Prix Nebula 1972), "Le Livre Des Crânes", "L'Homme Programmé", "L'Oreille Interne" (qui n'est pas sans rappeler "Portnoy Et Son Complexe" de Philip Roth), "L'Homme Stochastique" (alias, pour ses rééditions, "Le Maître Du Hasard"), "La Tour De Verre", "Les Temps Parallèles"... Sans oublier son fameux cycle de Majipoor, constitué de 8 tomes, et généralement considéré comme son plus grand accomplissement.

Une bonne partie de ces romans (disons sept de ceux que je viens de citer, et j'en ai cité une petite dizaine !) ont été écrits et/ou publiés entre 1971 et 1972, période extrêmement prolifique pour Silverberg. Le roman dont je vais parler maintenant date, lui, de 1976 (et ne sera publié, traduit, chez nous, qu'en 1981 pour la première fois), et son échec commercial relatif entraînera, de la part de son auteur, une envie de tout plaquer, du moins pour la SF. Il cessera, en effet, d'en écrire pendant quelques années, avant de revenir avec le cycle de Majipoor, notamment. Ce roman de 1976, c'est "Shadrak Dans La Fournaise". Publié à la base chez Robert Laffont dans leur fameuse collection argentée "Ailleurs Et Demain" dirigée par Gérard Klein (lui-même auteur de SF, et préfacier du livre comme de pas mal d'autres livres de SF qu'il aura publiés), il sera par la suite, jusque dans les années 90, publié en poche chez Le Livre De Poche. Hélas, depuis plus de 20 ans, ce roman n'est disponible qu'en occasion, chez les bouquinistes et sur le Web, n'ayant pas été réédité depuis lors. Une honte, d'autant plus que beaucoup d'anciens romans de Silverberg (tous ceux que j'ai cités plus haut) ont été réédités il y à quelques années, et continuent de l'être.

Dans sa préface, Gérard Klein cite ce roman comme un de ses préférés dans la SF (pas seulement chez Silverberg, donc), et ne regrette qu'une chose, qui empêche le roman, selon lui, d'être un monument intégral : son final, réussi mais conventionnel. Mais selon Klein (et selon l'humble auteur de cette critique), "Shadrak Dans La Fournaise" (titre en allusion à la Bible mais Shadrak est aussi le prénom du personnage principal) est un des meilleurs romans de l'auteur, et son insuccès à l'époque est incompréhensible. C'est un roman terriblement bien structuré, passionnant de bout en bout, subtil et riche en émotions.

L'histoire, pour résumer, est la suivante : l'action se passe en 2012 (rappelons que le roman est de 1976) : Shadrak Mordecai est le médecin personnel du Président de la Terre, le Khan Gengis II Mao IV, un tyran qui vit dans son palais situé à Oulan-Bator, Mongolie, capitale du monde. La Terre sort de plusieurs années de guerre bactériologique, et l'humanité pourrit, littéralement (pourrissement interne des organes), victime des retombées des divers gaz et virus qui furent utilisés pendant le conflit. Le Khan, un homme âgé et de santé plus ou moins fragile, ne cesse de se faire opérer pour se faire remplacer tel ou tel organe, au point qu'il en deviendrait presque une maison-témoin pour la chirurgie. Il est obnubilé par l'immortalité, et trois projets scientifiques sont en cours d'exécution pour la lui assurer à plus ou moins brève échéance. L'un de ces projets, Avatar, implique que le propre fils de Gengis II Mao IV, Mangu, soit tué afin que le tyran récupère son corps, que son âme y soit transplantée, et qu'il dure encore un peu plus longtemps. Mais Mangu est rapidement retrouvé mort, étrangement, mettant à péril le projet...

Je ne vais pas aller plus loin : la mort de Mangu intervient assez rapidement dans le roman, et si je continue à parler, autant tout révéler, ce qui n'est pas mon intention. Sachez juste que ce roman, plus épais que de coutume pour Silverberg (presque 400 pages dans l'édition de poche ; ses romans de la même époque ou de l'ère 1969/1972 faisaient genre 200/250 pages grosso modo), est une réussite majeure et (pour moi) totale dans la SF. Un livre profondément original, humain et prenant, aux dialogues ciselés, aux personnages intéressants, à l'univers et aux trouvailles remarquables. Un chef d'œuvre, peut-être même le plus grand roman de Robert Silverberg, même si "Les Monades Urbaines" et "Le Temps Des Changements" ne sont pas loin derrière. A lire !